Aller sur la navigation Aller au contenu principal Aller sur la recherche

Ma grand-mère ne mange plus ! Que faire ? 3ème partie : Quelles attitudes en dehors d'une fin imminente de la vie ?

Auteur Rédaction

Temps de lecture 9 min

Date de publication 02/03/2015

0 commentaires
Bernard Pradines« Ma mère, grand-mère, picore. Elle ne finit aucun de ses repas. Et je la vois maigrir à vue d’œil. A qui puis-je demander de l’aide ? Ai-je le droit de la forcer ? »

D’abord comprendre pourquoi cette condition est apparue : le médecin pose, autant que faire se peut, un diagnostic de la cause ou, le plus souvent, des facteurs ayant entraîné une consommation alimentaire inférieure aux besoins de votre mère ou de votre grand-mère. Son amaigrissement en est le témoin. Il peut s’agir d’une première perte de poids potentiellement inexpliquée ou bien d’un processus déjà identifié mais inaccessible à une correction efficace. Bien sûr, la première de ces deux situations demande une approche compréhensive plus laborieuse que la seconde.

Soyons sincères : il n’est pas toujours aisé de faire tous les diagnostics de façon précise chez les personnes âgées fragiles, surtout quand elles sont « non-verbalisantes ». De la sorte, de nombreux obstacles se dressent sur la route du praticien : interrogatoire difficile voire impossible, ressources diagnostiques lointaines ne pouvant pas être atteintes par une personne fatiguée qui ne supporterait pas un long transport. Il peut en être ainsi à la campagne ou en montagne pour rejoindre un centre de radiologie ou des spécialités médicales… Même dans un centre hospitalier bien équipé, certains cas conduisent à renoncer aux diagnostics parfaits comme cela serait le cas chez des personnes souffrant d’une seule affection non-invalidante ; c’est-à-dire des patient(e)s aptes à bénéficier d’examens complémentaires exigeant une bonne coopération. En établissement et désormais aussi à domicile, le médecin s’appuie sur l’observation colligée par les soignants avec qui il travaille. A la maison, le réfrigérateur ou parfois le garde-manger informent sur la présence et la validité des contenus. En pratique, ces sont surtout les aides à domicile, les agents hospitaliers (1), les aides-soignantes, les infirmières et les familles présentes qui sont à la fois les acteurs et les témoins attentifs des repas (2) .

Dans la panoplie des actions à entreprendre, la réalimentation, y compris préventive, en particulier en période périopératoire, peut employer des moyens utilisés chez l’adulte moins âgé. Le spectre tant redouté de l’acharnement thérapeutique (3), si bien entretenu par les vertueux promoteurs des économies à tout prix, ne doit pas conduire à l’abandon thérapeutique au seul titre de l’âge ; surtout si la condition incriminée est éphémère. Même dans les situations durables, une assistance nutritionnelle « technique » intraveineuse ou même intragastrique ne doit pas forcément être exclue, en accord avec le patient.

Dans tous les cas, une bonne hygiène buccale, la surveillance des appareils dentaires non traumatisants et une hydratation suffisante doivent être perpétuées. Ceci à défaut d’être totalement efficaces chez des personnes peu participatives, même pour le coutumier brossage dentaire (sur cinq faces).

Pour optimiser le contenu des repas, les orthophonistes et le plus souvent les diététiciens (presque toujours des diététiciennes) sont sollicités, en particulier dans le choix qualitatif des mets proposés, de leur quantité, de leur texture, de leurs horaires et même de la manière de les proposer. Le tout en fonction des goûts anciens ou actuels (4) de votre mère ou grand-mère.

Les médicaments suspects de « couper l’appétit », de diminuer la sécrétion salivaire, d’altérer la vigilance ou tout simplement devenus inutiles peuvent-ils être interrompus ou substitués ?

Les régimes restrictifs, globaux ou spécifiques, sont traqués. Non qu’il faille tous les bannir, mais leur prescription à long terme doit être justifiée par le médecin tant ils représentent un risque de dénutrition. Attention aux modifications ou aux limitations longtemps oubliées après un épisode aigü, en particulier en sucres et en sel. Bien sûr, comme toujours, l’opinion du patient âgé lui-même peut contredire cette assertion s’il demeure « accroc » à son régime.

Afin de compenser l’olfaction et le goût défaillants, l’aromatisation, la diversification des plats et l’utilisation d’épices peuvent rendre de grands services.

La texture des aliments peut amener ceux-ci à se désagréger, ce qui favorise les fausses routes. En règle générale, les aliments trop volumineux ainsi que ceux qui sont trop secs ou trop liquides doivent être suspects de difficultés d’absorption. S’il convient de ne pas recourir trop vite aux repas moulinés allant jusqu’à une pâtée peu engageante, la nourriture fluide est avantageusement épaissie avec des substances adéquates lorsque des fausses routes aux liquides sont constatées. C’est ainsi que l’eau gélifiée peut rendre de bons services.

Afin de limiter les volumes ingérés tout en augmentant leurs vertus nutritionnelles, il est possible d’adjoindre des substances naturelles telles que du fromage râpé ou du lait.

Des suppléments nutritionnels, plus ou moins riches en calories, sont commercialisés sous formes liquides (5) ou semi-liquides. Si leur usage, trop répandu, peut être critiqué au vu de leur caractère artificiel, leur emploi empirique, à tâtons, peut s’avérer nécessaire.

Des vitamines, des oligoéléments et des « adjuvants nutritionnels » sont éventuellement proposés en fonction des situations rencontrées.

Les modalités des repas sont interrogées : la présentation des mets est susceptible de les rendre plus appétissants. Un critère simple : les accompagnants consommeraient-ils avec appétit le même repas si on le leur proposait ? Si ce n’est pas le cas (« tu en mangerais de ça, toi ? ») (6), il convient de revoir le problème de manière urgente. Mieux, ce temps convivial est-il, au moins de temps en temps, partagé avec les aidants professionnels ou familiaux ?

Les repas peuvent être fractionnés en privilégiant celui du matin qui bénéficie souvent de la préférence des personnes âgées. Il est vrai qu’elles n’ont souvent rien mangé depuis dix à douze heures. Davantage de petits repas valent mieux que trois repas trop abondants non consommés.

En cas de fausses routes, les techniques d’alimentation sont adaptées : petites quantités (par exemple une cuillère à café à la fois), intervalles suffisants entre les bouchées, position correcte de la tête plutôt fléchie en avant, le tronc est bien assis, les gestes à accomplir en cas d’incident sont connus de l’entourage aidant… Les aliments possédant une température différente de celle du corps humain, telles les glaces, ne sont-ils pas mieux perçus donc mieux avalés ?

Si elle est capable de se saisir de la nourriture, on laisse de quoi grignoter à la portée de votre maman ou mamie car les moments d’appétence ne sont pas forcément ceux des repas. Ainsi, autant le grignotage est peu recommandé chez l’adulte sain, autant il en va autrement ici.

Les barrières culturelles des convenances à table sont contournées si votre parente ne sait plus utiliser les couverts. Le « manger-main », formule évocatrice (7), résume simplement l’acceptation de l’entourage de voir votre maman ou mamie se servir directement avec les doigts sans y voir l’increvable dogme stigmatisant de la « perte de dignité ». Les aliments eux-mêmes seront adaptés en retour à cette modalité.

Le possible recours aux ergothérapeutes ne sera pas oublié, tant leur rôle dans les facilitations techniques peut être déterminant : couverts adaptés par exemple, nombreuses « astuces » inconnues par ailleurs.

Un environnement favorable au moment des repas nécessite la compétence des aidants professionnels ou familiaux : il en va ainsi de la position de l’aidant par rapport à votre mère ou grand-mère ainsi que de la façon de lui présenter les mets. La pratique nous dévoile des aspects parfois vexants : tel soignant aura davantage de succès que ses collègues auprès d’une ou de plusieurs personnes. Les raisons de cette préférence peuvent être connues ou non. La conviction et l’empathie de l’aidant seraient-elles en cause dans une configuration où la volonté de vivre de l’aidé est souvent en jeu à travers la motivation à manger ?

A contrario, la qualité de la relation interhumaine, authentique modalité soignante potentiellement efficace lors des soins de base tels que la toilette, est négligée si l’on craint que votre maman ou mamie parle en lieu et place de manger. Ce qui aboutit à ne pas lui adresser la parole sinon pour l’encourager ou, pire, le presser. Exigence compréhensible de rapidité si l’on admet les déficits chroniques en personnels et les impératifs liés à la chaine du froid. Proposer votre aide dans la mesure de votre disponibilité est généralement fort bien apprécié des personnels en établissement.

Le contexte dans lequel se déroule le repas doit retenir votre attention. Tel voisinage peut « couper l’appétit ». Lors d’un de mes repas en compagnie des résidents, je réalisai à quel point ma présence perturbait le convive qui était mon vis-à-vis. Il en résulta chez lui une agitation qui ne pouvait pas garantir la sérénité indispensable de mon propre déjeuner (8), en sus du sien.

Pas sûr qu’un contexte bruyant, parfois agrémenté par quelque téléviseur calé sur une chaine agitée et incompréhensible (9), soit d’une grande aide.

Dépossédées et culpabilisées, demeurant parfois à des centaines de kilomètres de leur aînée, les familles peuvent être tentées d’accuser les soignants de négligence si maman ou grand-maman s’amaigrit. Autant dire que cet éventuel reproche ne facilite pas l’amélioration d’une situation où chacun déploie des trésors d’imagination pour y remédier. Au risque d’une injonction verbale voire physique (10) à manger ce qui est proposé. Une contrainte qui est une maltraitance(11).

Les bonnes conduites décrites ci-dessus nécessitent du temps pour l’entourage, obstacle principal à la mise en œuvre de la lenteur nécessaire. Une lenteur qui s’accommode mal des modalités entrepreneuriales fondées sur la productivité de plus en plus planifiée des services et des établissements d’hébergement et de soins.

En conclusion de cette partie, il faut bien constater la grande diversité des situations rencontrées en dehors d’une imminente fin de la vie. Pour un accompagnement optimal, force est d’admettre que le déficit nutritionnel de la personne âgée est une entité inséparable d’une analyse globale et mouvante de sa complexité biologique, psychologique et sociale.


(1) Si les agents de service hospitaliers (ASH) sont en principe chargés de tâches non-soignantes, la réalité est fort différente du fait du déficit en aides-soignantes ou du manque de postes dans cette dernière profession. Ainsi voit-on apparaitre dans certains EHPAD des « ASH soins ».
(2) Sans oublier, bien sûr, la personne concernée elle-même.
(3) Acharnement thérapeutique : il vaut mieux être plus exact en parlant d’ « obstination déraisonnable ».
(4) Oui, il n’est pas rare que les préférences gustatives évoluent, parfois de manière surprenante. Bien des familles m’ont fait part de leur surprise dans ce domaine.
(5) Une paille est souvent utilisée au lieu de la traditionnelle boisson au verre.
(6) Du plus bel effet serait de prononcer ces paroles sceptiques en présence de la personne assistée lors du repas. Mais ceci n’arrive bien sûr jamais.
(7) Ne pas oublier que nous sommes à l’époque des protocoles et des techniques. Donc même le bon sens doit porter un nom savant.
(8) Veuillez noter ma capacité à m’exprimer par euphémismes.
(9) Par pudeur, je n’en citerai aucune. Mais je ne suis pas sûr que le rap ou la techno possèdent des cadences adaptées aux absorptions d’aliments.
(10) « Encourager » en haussant le ton, Introduire de force une cuillère dans la bouche voire boucher le nez pour que la bouche s’ouvre… Est-ce seulement le passé ?
(11) Je n’ose pas ajouter : « fréquente ».


Partager cet article

Sur le même sujet