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Bien vieillir (prendre soin de soi)

La souffrance chez les personnes âgées

Auteur Rédaction

Temps de lecture 10 min

Date de publication 28/05/2010

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Synthèse des débats organisés par le CLIC Métropole Nord Ouest le 26 février 2010

Jean Foucart

Le vendredi 26 février 2010, Jean FOUCART, Docteur en sociologie, Chargé de cours au département social de la Haute Ecole Charleroi-Europe, intervenait à l’EPSM de l’agglomération lilloise- Site Lommelet à Marquette-lez-Lille, sur le thème : « La souffrance chez les Personnes Agées », dans le cadre de la 16ème conférence- débat organisée par le C.L.I.C. Métropole Nord Ouest.

« Je m’intéresse aux questions liées à la souffrance depuis une quinzaine d’années. Je me suis posé la question de la souffrance, en me positionnant en tant que sociologue. J’ai d’ailleurs écrit un premier livre intitulé : « Sociologie de la souffrance ».

La souffrance existe certes depuis toujours, mais elle est venue sur le devant de la scène sociale il y a environ un quart de siècle, 25 ans tout au plus. Auparavant, la souffrance relevait de la sphère privée. Aujourd’hui on parle de la souffrance des personnes âgées, mais aussi de la souffrance des travailleurs sociaux, de celle des chauffeurs de bus qui se sentent constamment agressés, du « burn out », etc.

Le dénominateur commun à cette mise en scène de la souffrance : une précarisation sociale

La souffrance : Le point de vue du sociologue

En préambule il faut admettre que si on parle de souffrance et de personne âgée, on ne doit pas nécessairement établir un lien. On ne doit pas établir un lien entre des conditions objectives et la souffrance. En effet, être une personne âgée ne signifie pas être en souffrance. De la même façon être au chômage est peut -être source de souffrance pour 90 % des gens, mais il reste 10 % de gens qui eux, sont peut-être ravis de ne plus aller travailler à l’usine chaque matin !

On ne peut pas identifier la douleur et la souffrance. De grands athlètes admettront qu’ils vont au bout d’eux-mêmes, jusqu’à la douleur, mais qu’il n’y a pas de réelle souffrance car ils prennent plaisir à se dépasser ainsi. Ils s’infligent cette douleur. Donc la douleur n’est pas toujours source de souffrance. On voit ici que tout dépend du projet dans lequel s’inscrit la personne. La prise en considération du contexte est essentielle.

Parler de la souffrance, implique ainsi de faire intervenir le contexte, le projet. Ce qui caractérise la souffrance c’est vraiment la notion d’insupportable.
La souffrance relève de l’insupportable, de « l’in- intégrable », de ce qui n’a pas de sens, ce à quoi je ne peux pas donner de sens.
« L’insupportable c’est l’in-intégrabilité de l’inintégrable » a écrit Levinas.

La sociologie étudie la manière dont les rapports entre acteurs se construisent, et doit donc faire ce lien entre l’insupportable et la construction des rapports sociaux.
Le concept de transaction est essentiel.
Une transaction, c’est un ensemble d’acteurs qui se relient, construisent un vivre ensemble et en même temps se séparent parce qu’ils ont des intérêts différents. Mon hypothèse est que l’insupportable réside dans l’impossibilité de construire un « vivre ensemble », avec ses micros compromis qui structurent la vie quotidienne.

Qu’est-ce-que la personne âgée ? Qui est la personne âgée ?

Vieillesse et Matérialité
On parle aujourd’hui de vieillesse, de personnes âgées, de retraités… plus poétiquement on dira « ces personnes qui sont arrivées à l’automne de la vie », et de façon plus brutale : « à la fin du parcours ». Les mots qu’on utilise ont leur importance, ce qui m’amène à dire que pour analyser le terme « personne âgée », il faut adopter une théorie constructiviste. L’utilisation du terme « personne âgée » résulte d’une construction sociale.
Bien-sûr on ne doit pas oublier en parallèle qu’il y aussi un lien avec une matérialité (ex : les problèmes physiques liés à la vieillesse).

Un aspect de cette construction sociale est la transformation d’un élément physique de la personne âgée, comme par exemple une certaine perte de la force physique en propriété sociale.
Selon les générations, les siècles, les époques, certains aspects ont plus d’importance que d’autres.
La perte de la force physique au temps des Mérovingiens était un vrai signe de la vieillesse.
L’homme perdait de la valeur. Les sociétés orales ont valorisé la mémoire, et le statut des personnes âgées. Ces personnes qui représentaient « la mémoire » pouvaient se sentir valorisées . Aujourd’hui nous sommes davantage dans une valorisation de l’écrit, et nous n’avons donc plus besoin de cette mémoire.
Un autre aspect peut être une certaine altération des traits : la Renaissance véhiculait un certain idéal du beau, où la vieillesse n’avait guère sa place. Ronsard parle de la vieillesse « honteuse ».
A l’époque de la Grèce Antique, dans le même ordre d’idées, Euripide parlait de « L’âge triste », de « La vieillesse odieuse qui rassemble tous les maux ».
A l’inverse le Moyen-âge, lui, accordait un statut bien plus enviable aux personnes âgées.

La matérialité peut se manifester à un niveau micro social. Le couple vieillissant va devoir reconstruire sa vie en tenant compte des aspects subis liés à la vieillesse.

Vieillesse et Structure Sociale

Beaucoup d’historiens se sont intéressés à ce lien entre vieillesse et structure sociale. Ils se sont interrogés et ont relevé l’importance du regard posé sur la personne âgée. Le rapport à la personne âgée est lié à beaucoup de facteurs différents.
Ex : Au 14ème siècle la peste tuait des millions de personnes et étrangement elle épargnait en majorité les personnes âgées. De ce fait, le « groupe » des personnes âgées est devenu plus important que celui des jeunes adultes et a retrouvé un certain pouvoir économique et politique.

Autre ex : Au 16ème et 17ème siècle, sur une centaine de grands artistes, pour ne citer que Michael Ange, 70 % étaient des personnes âgées.

La vieillesse est donc le résultat d’une construction sociale.

En sociologie on analyse toujours la manière dont la réalité est construite. Une réalité n’est pas toujours vue/lue comme un problème. Ex : la pauvreté n’a pas toujours été qualifiée de problème aux Etats-Unis, selon les époques.

Parler de problème social c’est désigner des populations, classer des populations et leur donner du pouvoir ou non. Comment classe-t-on les personnes âgées ?

Isolement personne âgée - crédit photo fotolia
La souffrance chez la personne âgée

Depuis la fin du siècle dernier l’espérance de vie a formidablement progressé. On a désormais une 4ème catégorie pour parler du grand âge : la 3ème catégorie regroupe les 60-65 ans, voire les personnes jusqu’à 75 ans (mais attention, ces chiffres n’ont rien d’officiel !), et ensuite on passerait à la 4ème catégorie. Le noeud du problème social, touche cette 4ème catégorie, c’est la dépendance. La dépendance, c’est lorsque les actes élémentaires de la vie quotidienne ne peuvent plus être accomplis seul. Or les sociologues ont observé que les personnes pouvaient gérer de façon radicalement différente la question de la dépendance selon leur niveau culturel, leur position sociale, leur histoire de vie (trajectoire), leur niveau de revenu, etc. Et ce sont les personnes d’un niveau social moins élevé, celles qui ont moins de ressources, etc. qui vont se trouver véritablement « coincées » par la dépendance.

La sociologue Anne-Marie GUILLEMARD, parle de « mort sociale » pour évoquer la situation de ces personnes dotées de peu de ressources à l’âge de la dépendance.

Qu’est ce que la construction sociale du vieillard d’aujourd’hui ? Comment la dénommer ? Dans son livre « Les vulnérables. La démocratie contre les pauvres », Hélène THOMAS, Professeur de science politique, sociologue et psychanalyste, explique notamment comment aujourd’hui on coupe les personnes âgées, dépendantes et pauvres, de l’exercice de leurs droits humains et de leurs libertés fondamentales. Elle décrit leur traitement qui combine « protection rapprochée » et contrôle à distance avec individualisation et psychologisation de leur condition.

Isolement personne âgée - crédit photo fotolia

Dans son livre « Les personnes âgées dépendantes entre hospitalisation et hospicialisation », elle met en garde contre les dérives du système. Elle décrit toute cette série de protections qui se sont développées en prolongement du phénomène « hospice ». Elle utilise volontairement le terme « hospicialisation « : mot arrangé tiré du mot « hospice », cet endroit où auparavant on plaçait les personnes âgées dont on ne savait que faire.
C’était un endroit avec un modèle disciplinaire, hygiéniste, coercitif, basé sur l’entretien «économique et physique des vieillards indigents ».

On va parler de protection sociale, pour aider les personnes, pour protéger les personnes… Parfois de gré ou de force, quand on n’a pas l’accord de celles-ci.
Et ce sont les personnes âgées défavorisées, qui ont une faiblesse au niveau des ressources économiques et culturelles, qui sont donc principalement concernées par ce phénomène « d’hospicialisation ».

Les vieillards définis comme étant dépendants, vulnérables, esseulés, voire majeurs incapables, seraient à mettre sous protection pour préserver leur dignité. Mais n’aboutissons-nous pas à des effets pervers ?

Le problème de la canicule en 2003 a alimenté l’image de la personne âgée qui était « en dehors », qui ne disposait plus de lien social, sans famille, etc. Oui il existe ainsi des personnes « désafilliées » comme les appelle le sociologue Robert CASTEL : une personne « désafilliée » n’a plus de contact avec son entourage familial, son environnement (voisinage, etc.). Mais en réalité ces personnes ne sont qu’une minorité. 80 % des personnes continuent à disposer d’un réseau de relation professionnel et « profane » (familial, amical…).

S’agissant du phénomène « d’hospicialisation », à l’inverse on va parler « d’hyper affiliation » : les personnes concernées ne sont pas exclues, on s’occupe d’elles, trop d’ailleurs et c’est là le problème ! Qu’elles soient en institution où chez elles, elles sont entourées d’un réseau très dense (famille, amis, etc…) qui exerce un contrôle assez important sur elles. On rejoint là la notion de dépendance.

En France on dénombre 210 000 Aides-Familiales, à 99,99 % il s’agit de femmes. La moyenne d’âge est de 43 ans et 50 % de ces personnes n’ont pas de qualification. Et on constate parfois qu’il peut se créer une réelle dépendance entre la personne âgée et son aide familiale, au point que la personne âgée ne peut même plus manifester de gestes de reconnaissance. Elle va juste subir.

Dans le cas de « l’hyper affiliation », tout est décidé par les aidants, l’entourage social et familial.
Il ne faut pas oublier que « L’enfer est pavé de bonnes intentions ». On essaie de faire au mieux pour la personne, mais on la désapproprie de ses choix et c’est là qu’on peut parler de souffrance
. Il y a une dépendance vis-à-vis de l’entourage familial, professionnel…

Cette souffrance est l’impossibilité dans laquelle se trouve l’individu de construire les micros compromis constitutifs de la quotidienneté, de construire des transactions. La souffrance est alors l’aspect psychique de cette « rupture transactionnelle » ou rupture des conditions de la confiance. La situation du vieillard est un peu celle de l’interné psychiatrique.
La souffrance est liée à l’impuissance. Si je suis dans une situation qui m’est insupportable, je vais mettre en place des stratégies pour en sortir, et le comble de la souffrance c’est de ne pas avoir la possibilité, les capacités de construire soi-même ces stratégies.

La plainte est une modalité d’expression corporelle ou verbale que l’on utilise quand on est dans une situation d’impuissance. Dans d’autres cas il y aura la violence comme mode d’expression de l’impuissance.
Pour aider une personne en souffrance, on doit partir de sa plainte et non pas se baser sur des conditions objectives ou des projections (ex : Ce n’est pas parce que « moi » j’ai peur de la maison de retraite que je dois projeter ma peur sur l’autre. Tout le monde n’est pas malheureux de s’installer en maison de retraite, loin de là !).

Certains auteurs ont signalé que, trop souvent, on disqualifiait la plainte : on l’analysait comme étant une résultante d’une dépression, un signe du grand âge. Parfois on entend dire de quelqu’un « Il ne se rend pas compte de la chance qu’il a ! ». Ou encore on va retraduire la plainte dans un langage psy ou médical alors que la souffrance est peut être liée à un ensemble de problèmes sociaux.

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