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Un entretien exclusif avec Lucien Mias, ancien capitaine de l'équipe de France de rugby et ancien chef du service gériatrie de l'hôpital de Mazamet

Auteur Rédaction

Temps de lecture 9 min

Date de publication 04/07/2011

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« Je serais centenaire et j’emm… le monde jusqu’à cent ans »

Lucien MiasLe Dr Lucien Mias, 81 ans, ancien capitaine de l’équipe de France de rugby, ancien patron du service gériatrie de l’hôpital de Mazamet (Tarn) gère et animer seul le site « papidoc » qui fait autorité dans le secteur de la gérontologie. Le Dr Mias, né en 1930, affirme venir. « de la plume sergent major et de la lampe à pétrole », mais l’adaptabilité est la clé de voute de son éternelle jeunesse. « j’ai toujours eu envie d’aller voir de l’autre côté de la colline. Aujourd’hui, je voudrais aller aux Fidji pour comprendre pourquoi ils sont si bons en rugby. Il faut toujours garder une lumière au bout. Je vivrai centenaire et j’emmerderais les gens jusqu’à cent ans » nous a-t-il expliqué lemardi 28 juin.

De sa maison d’Aussillon, dans la banlieue de Castres, Lucien Mias continue de déranger, peser sur l’actualité médicale et sportive. Ainsi, apres le KO du joueur britannique Chris Ashton lors du match Angleterre – Afrique du Sud à la fin de l’année 2010, il remarque que l’entraîneur – contrairement à l’avis de l’arbitre – oblige son joueur vedette à demeurer sur le terrain. Lucien Mias écrit aux arbitres et fait pression sur la Fédération pour que les joueurs mis KO - « il y en a de plus en plus dans le rugby » - fassent l’objet d’un test – quatre questions simples - qui permette de situer l’état de santé du joueur et de le soumettre à des examens de santé s’il ne répond pas correctement. La fédération s’est saisie du dossier. « Ils avaient peur que j’alerte les médias » dit-il en plaisantant.

De son expérience gérontologique, le Dr Mias dit qu’elle a été la période « la plus exaltante » de sa vie, « plus que le rugby » où pourtant il acquiert une notoriété internationale. Pourquoi cet intérêt pour les « vieux « ? « En tant que médecin de famille, je voyais qu’on déconnait avec les personnes âgées. On ne savait pas faire. A 65 ans, usés par le boulot, les gens rentraient en maison de retraite parce qu’ils ne pouvaient plus vivre dans de vieilles habitations sans toilettes, sans confort. » Et là, ils se retrouvent dans des mouroirs ou nul ne sait vraiment s’occuper d’eux.

Mais plus que les besoins du secteur, c’est l’évolution de la médecine qui détermine ce choix. Les progrès fulgurants de la technologie médicale (imagerie médicale, analyses…) dessaisissent progressivement le médecin de sa capacité de diagnostic. « On se retrouve à prescrire des examens et a distribuer des médicaments. . » C’est sur ce constat que je me suis dit « tu vas t’occuper des vieux ». Un secteur où la technologie est impuissante

Il prend la direction du service gériatrie de l’hôpital de Mazamet en 1987. Et comme au rugby, il s’appuie sur l’équipe en place pour faire avancer les choses.

VERBATIM

"J’ai fait du management participatif. C’est de Gaulle qui parlait le premier de participation. Moi je travaillais avec l’équipe, je prenais leurs idées, je les généralisais et surtout je les écrivais. Toutes les idées sur « la main dominante » sur laquelle il faut s’appuyer pour procéder à un toucher physique de la personne âgée, sont nées de l’équipe. J’écrivais ce qu’ils me disaient et je le soumettais à l’équipe et ça n’allait jamais, parce que les infirmiers n’aiment pas la gériatrie. Ils sont formés pour la technique médicale de pointe et ne reconnaissent pas le prendre soin pour une technique. C’est difficile de leur faire admettre que le chant ou la belote sont des techniques de prendre soin".

"Ce sont ceux qui écrivent qui ont capté le pouvoir. Je suis entrain de lire un livre ou on explique que Jenner qui passe pour avoir découvert la vaccination n’a fait que valider une pratique empirique déjà en usage dans les campagnes anglaises. Il a expérimenté, il a écrit et a donné une caution scientifique à ce qui n’était qu’une pratique de paysans."

"L’hôpital de Mazamet incarnait toutes les formes de maltraitance contre les personnes âgées. Une famille s’était révoltée car personne ne s’occupait de faire manger un résident incapable de se nourrir lui-même. On lui déposait son plateau et on le reprenait en l’état une heure plus tard. Le personnel a vu que je souhaitais valoriser son travail et progressivement, ils ont cessé d’être un personnel d’exécution, ils se sont intéressés à ce qu’ils faisaient."

"Les choses ont changé progressivement et on a commencé à venir des quatre coins du monde à Mazamet pour regarder ce que nous faisions."

"Parfois certains nous disaient « ça va trop vite, on fait trop de choses nouvelles ». Mais petit à petit, s’est constituée une équipe exceptionnelle. Monique Zambon, une simple aide soignante fourmillait d’idées sur l’utilisation de la musique par exemple. Moi je lui ai fait lire quelques livres, à la fin elle avait une bibliothèque de plus de cinq cent volumes dans sa maison. Elle a passé des diplômes aussi. Avec des personnes comme elle, on a changé tout le service. Dès que les gens se sentent reconnus, ils deviennent acteurs du soin."

"J’avais été très marqué également par les chambres communes ou ma mère, atteinte d’un cancer avait été soignée. L’hôpital était vétuste. Alors on a débloqué des budgets pour repenser l’architecture de cet ancien sanatorium. On a fait des plans, on a réfléchi sur les formes, on a multiplié les essais. Toutes les idées architecturales venaient de l’équipe. C’est la grande leçon : faire émerger les choses de la base. Si on n’agit pas ainsi, c’est foutu. Il faut que les soignants soient des acteurs du soin. Ils ne sont pas là uniquement pour changer les couches. Aujourd’hui, on met des psychologues, des spécialistes… et les autres, ils font quoi ?
Il y avait aussi de bons ratios pour se rencontrer. Trente résidents pour 15 soignants est un bon ratio. Au delà, on se croise, on ne se rencontre plus.

Religion. On a été très bon pour positionner le soignant face au fait religieux. Toute cette « bientraitance » dont on parle aujourd’hui, n’a pas de sens si on ne tient pas compte des codes culturels des uns et des autres. Il ne faut pas toucher la tête d’un asiatique car c’est le siège de l’âme, il ne faut pas croiser les mains d’un orthodoxe.

Famille. On a aussi associé les familles. Mais je dois reconnaître que ca ne leur allait pas. Ils trouvaient qu’on infantilisait leurs parents âgés. L’animation est mal comprise par les familles. Je leur parlais beaucoup.

Cuisine. La cuisine jouait un rôle à l’hôpital. On faisait la soupe avec de gros morceaux. Aujourd’hui, les règlements l’interdisent car les lois sont faites poiur les grosses structures hospitalières. Pas sur que la cuisine centrale de l’hôpital soit le plus adapté.

Brassens. Deux choses m’ont aidé : ma notoriété de rugbyman et Brassens. Brassens c’est l’anti-France de Vichy. Il a favorisé une révolution mentale dans une société très conservatrice où l’église gardait un pouvoir d’influence énorme. Brassens a fait passer l’idée qu’on avait le droit de se conduire autrement, qu’on avait le droit de se moquer du maire et du curé.

Charisme. Oui j’ai du charisme. On me disait « Lucien, je t’aime car tu es toujours devant dans la fête et dans le sport ». Grâce à Brassens, j’étais toujours devant contre l’establishment. Les commerçants, les agriculteurs étaient gênés de ruer dans les brancards. Moi j’étais médecin, j’étais plus libre

Les maisons de retraite ? Elles reçoivent des gens très âgés, des gens en perte de capacité mentale. Notez bien que je ne dis pas « Alzheimer ». Avant on disait « il devient gateux ». Et on acceptait. Aujourd’hui, on dit Alzheimer et on n’accepte plus. Ces personnes en perte de capacité mentale vont donc en maison de retraite lesquelles redeviennent des mouroirs.

Errance. me pour les familles, c’est l’errance. Je crois beaucoup aux bracelets électroniques. Il n’ya rien de plus terrible pour une famille que de savoir qu’un parent est perdu dans la nature. On a eu un cas ici, cette personne a été retrouvée morte à cinq cent mètres de son domicile.

Moi je crois beaucoup à l’accueil familial. C’est ça l’avenir. Les maghrébins sont les meilleurs, ils ont le sens du toucher et du respect des personnes âgées. Si ça ne se développe pas c’est que personne n’y a intérêt. Pourtant, il me semble que dans un monde agricole qui s’écroule ca peut constituer une forme de revenu intéressante. Je crois que le coût élevé des maisons de retraite va favoriser les familles d’accueil.

Humanitude. Yves Gineste et Rosette Marescotti sont venus à l’hôpital de Mazamet. Ils étaient porteurs de techniques de manutention relationnelle. Ils nous ont appris des trucs, mais ils ont aussi beaucoup appris avec nous. Pendant la toilette, la technique de la "main dominante" (*) par exemple, c’est Monique Zambon qui l’avait inventée. Ils reconnaissent d’ailleurs qu’on les a aidés. Appeler cet ensemble de techniques « Humanitude » c’est un peu pompeux. C’est plus une façon de vivre ensemble qu’une philosophie. Cela dit, on est content de voir que ces techniques se propagent. Mais il y a d’autres choses que la manutention, il y a le chant aussi qui participe au vivre ensemble. Ca ne sert à rien de trop intellectualiser, à un âge avancé tout est stratifié, on ne s’adapte plus.
(*) ndlr : cette technique ne fait pas partie de la Méthodologie de soins Gineste-Marescotti®

Internet. Une révolution. Mitterrand a raté quelque chose avec la Très grande bibliothèque, il aurait du prendre les fonds et tout numériser. J’avais un vocabulaire de fils de gendarme et mes copains à la faculté de médecine, ils avaient un vocabulaire de fils de médecin. On était médecin de père en fils à l’époque. Pour comprendre quelque chose, je devais aller dans les livres ; aujourd’hui on va sur le Net.

Papidoc. Quelqu'un m’a dit un jour : quand tu auras quitté l’hôpital de Mazamet, tout ce que tu as fait va disparaitre, ce sera comme si ca n’a pas existé. Il avait raison car en plus je n’étais ni parisien ni Professeur de médecine. Mais la révolution Internet a tout changé. On peut diffuser autrement que par les voies académiques. Le site Papidoc existe. Je le gère et je l’enrichis tout seul. On écrit aujourd’hui qu’il est « incontournable ». J’ai même assuré sa pérennité après ma mort car il est désormais hébergé gratuitement sur le serveur de l’hôpital de Mazamet. Le directeur de l’hôpital de Mazamet est venu me voir un jour sans raison précise. Par curiosité sans doute pour le rugby ou la gérontologie. J’en ai profité pour lui demander un droit d’hébergement. Il a accepté.
http://papidoc.chic-cm.fr/

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