Aller sur la navigation Aller au contenu principal Aller sur la recherche

Maladie d'Alzheimer: des francophones étrangers dans leur pays

Auteur Rédaction

Temps de lecture 3 min

Date de publication 27/05/2013

0 commentaires

Effets inattendus au Canada

La maladie d'Alzheimer a des effets inattendus au Canada: des personnes âgées bilingues oublient parfois leur deuxième langue, et, s'ils vivent dans une région dominée par celle-ci, se retrouvent étrangers dans leur propre pays.

Le phénomène est particulièrement dramatique pour les francophones qui ne peuvent plus communiquer en anglais avec les services médicaux compétents, alors que les services offerts en français sont insuffisants voire inexistants.

C'est lors d'une rencontre avec un médecin de l'institut de recherche Sunnybrook à Toronto, en 2009, que Sylvie Lavoie prend conscience que sa mère, atteinte de la maladie neurodégénéative, a perdu l'usage de l'anglais. Alors qu'elle passe un test, Hélène Tremblay-Lavoie obtient 9 sur 30 en anglais contre 19 sur 30 en français.

"Ce résultat fut un choc terrible, une énorme surprise. Ne conversant qu'en français avec ma mère, je ne m'étais pas aperçue qu'elle avait perdu son anglais. J'avais bien noté qu'elle parlait moins avec mon mari, qui est anglophone, mais j'avais mis ça sur le compte de la maladie et de la fatigue", explique Sylvie Lavoie.

Le cas de sa mère fait les manchettes des journaux partout au Canada. Cette femme, née au Québec, a vécu plus de trente ans à Toronto et était bilingue.

Sylvie Lavoie décide alors de la placer dans une institution francophone, mais il n'en existe aucune à Toronto. Trente-sept lits sont ouverts aux francophones à l'hôpital Bendale Acres à Scarborough, dans la banlieue de la Ville Reine, mais ils ne leur sont pas strictement réservés. Hélène Tremblay-Lavoie sera finalement accueillie à Welland, près de Niagara Falls, soit la seule résidence fonctionnant entièrement en français disponible sur une distance de près de 600 km, entre Ottawa et Welland.

La fondation portant son nom a été créée l'an dernier pour développer en Ontario l'offre des services de soins de longue durée pour les francophones atteints de maladies neurodégénératives qui leur font perdre l'usage de la langue de Shakespeare.
"Les personnes qui perdent la langue anglaise sont les francophones unilingues qui apprennent l'anglais plus tard dans leur vie. Mais attention, ce n'est pas la langue anglaise qu'elles perdent, ce sont des neurones qui s'effilochent avec la vieillesse et qui affectent l'usage des langues", explique le professeur Guy Proulx, neuropsychologue du Département de psychologie du College bilingue Glendon à l'Université de York, à Toronto.

Spécialisé dans la neuropsychologie cognitive, il est à l'origine de nombreux tests psychologiques en anglais utilisés dans le monde entier et permettant d'identifier une maladie neurodégénérative. Il a, par la suite, traduit en français ces tests, actuellement en cours de validation clinique.

"La langue est un automatisme dans le système cognitif. Une personne bilingue dès l'enfance ne perdra pas sa deuxième langue car elle est automatisée, ancrée en elle. Or, les automatismes sont bien plus résistants face à des maladies comme Alzheimer", explique-t-il.

La fondation Hélène Tremblay-Lavoie et le professeur Proulx souhaitent mettre en place une clinique de la mémoire francophone et bilingue, intégrée à Bendale Acres. Celle-ci comprendra aussi un centre de recherche dans le domaine de la santé cognitive et un centre de dépistage précoce et de thérapie pour les maladies cognitives comme Alzheimer.

Près de 90% des francophones de Toronto - qui sont plus de 125.000, et plus de 600.000 dans l'ensemble de l'Ontario - sont en couple avec un non francophone. Le but est de ne pas les séparer lorsque survient la maladie.

"Les services de soins en français existent à Toronto, mais ils sont éparpillés. Ils ont besoin d'être structurés", dit Guy Proulx. "La fondation essaie de coordonner tout ça", ajoute Jean Roy, président du conseil d'administration de l'organisation. "Nous avons le soutien des gouvernements provincial et fédéral. Le projet va coûter 200.000 dollars par an pendant trois ans, et nous avons déjà l'argent. Ce n'est plus que l'affaire de quelques mois", espère-t-il.
Partager cet article

Sur le même sujet