Aller sur la navigation Aller au contenu principal Aller sur la recherche

Tutelles : "les moyens manquent et le contrôle n'est pas effectué"

Auteur Rédaction

Temps de lecture 3 min

Date de publication 19/10/2014

0 commentaires

Entretien avec Florence Fresnel, avocate, spécialiste en droit de la famille, des personnes et de leur patrimoine, docteur en droit

Florence FresnelQue pensez vous du livre « Les Dépossédés » de Valérie Labrousse ?
On y trouve des choses intéressantes, mais aussi des erreurs juridiques. Sur le fond, je dirais que ce livre touche une réalité que je constate dans mon cabinet : on me confie des dossiers parce que des erreurs sont commises souvent par des personnes de haut niveau. Cela dit, les escrocs exercent dans toutes les professions. Le domaine de la protection juridique en recèle-t-il plus que d’autres ? Je ne pense pas, mais la tentation y est peut être plus grande. Simplement, le manque de moyens de la justice est une réalité, qui ne peut être rejeté d’une pichenette, comme le fait l’auteur.

Vous ne croyez donc pas à l’existence d’une « mafia » spécifique à la protection juridique ?
Je ne peux pas penser que le Parquet, les magistrats, les médecins, les gérants de tutelle maintenant nommés mandataires judiciaires à la protection des majeurs (MJPM) sont organisés en système spoliateur. En revanche, il existe un régime de l’erreur, indéniable, mais qui peut être corrigé puisque l’on fait appel à moi. Je peux vous citer le cas fort ancien d’une jeune juge des tutelles, fraîchement sortie de l’école, séduite par un gérant de tutelle et qui a été conduite à participer à une erreur organisée. A la mort d’un majeur protégé, le pot aux roses a été découvert et les coupables ont été écroués. Donc l’impunité décrite dans le livre n’est pas aussi systématique qu’on cherche à nous le faire croire. Quand on vient me voir, parfois le dossier laisse penser qu’il n’y a pas une chance sur un million d’obtenir gain de cause, mais une fois sur deux la justice est rendue comme mon client et moi l’espérions.

Les fraudes sont-elles minoritaires ou majoritaires ?
On ne sait pas. Les chiffres manquent à ce sujet. La célèbre affaire où l’Assistance Publique-Hopitaux de Paris (mise à la connaissance du grand public par les médias en 1998) était impliquée n’a jamais donné lieu à une communication sur le montant des indemnisations obtenues. Quelqu’un que je ne peux citer m’a dit une fois que le montant des escroqueries commises dans le domaine de la protection était supérieur au montant des pertes enregistrées par le Crédit Lyonnais à l’occasion du scandale qui avait défrayé la chronique au début des années 1990. Mais cette estimation mériterait d’être vérifiée.

Le système de la protection juridique tel qu’ll est organisé aimante-t-il les escrocs ?
On ne peut pas dire qu’un certain type d’individus prospère au sein du système. La profession de MJPM est ouverte et j’ai vu toutes sortes de gens chercher à s’en faire un métier : des chômeurs, des assistantes sociales, des jeunes qui sortent de la fac… Tous les profils s’y trouvent.

Est-ce que la réforme des tutelles intervenue en 2009 a changé quelque chose ?
Je crois que c’est devenu pire dans la mesure où le contrôle n’a jamais été repensé pour être modifié. En effet les comptes doivent être déposés annuellement auprès du greffier en chef du tribunal d’instance qui n’a pas reçu de formation comptable. Aussi ce dernier débordé par d’autres fonctions concomitantes à sa qualité peut oublier de vérifier que tel compte lui a été ou non remis d’une part et ou d’autre part n’a pas eu le temps de vérifier chaque compte déposé. De plus l’Etat est sinistré, il n’a pas d’argent pour leur donner une formation comptable. Ce n’est pas un hasard si la France est classée au 34ème rang pour son budget au Ministère de la Justice sur les 47 Etats qui ont signé et ratifié la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l’homme. L’auteur a souligné que préalablement au vote de la loi, il avait été question un moment de basculer le contrôle sur la Banque de France, mais le ministère des Finances avait refusé. Maintenant, il faut savoir que tous les gros dossiers (en particulier ceux qui sont éligibles à l’impôt sur la fortune) sont vérifiés au préalable par un expert comptable. Mais entre 200 000 euros et 1,3 millions d’euros, c’est la Comédie Humaine de Balzac.

Le mandat de protection future n’a rien changé sur le fond ?
La formule française du mandat de protection future est dangereuse car le mandant conserve sa capacité. Donc il peut continuer à signer seul tous les actes et prendre seul toutes les décisions, contrairement aux droits belge et québecois, dont il est inspiré.
Partager cet article

Sur le même sujet