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Dysfonctionnement en ehpad : lettre ouverte au président du Conseil général des Alpes Maritimes

Auteur Rédaction

Temps de lecture 8 min

Date de publication 07/04/2015

2 commentaires
Un groupe d'aidants de personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer a interpellé en octobre dernier le Président du conseil départemental des Alpes Maritimes sur des dysfonctionnements constatés en Ehpad. Devant l'absence de réponse, et parce que ces témoignages ont pour but de s'interroger sur l'amélioration des pratiques, nous publions cette lettre ouverte.


LETTRE OUVERTE AU PRESIDENT DU CONSEIL DEPARTEMENTAL DES ALPES MARITIMES

Monsieur le Président du Conseil dépatemental,

Je vous ai adressé, courant octobre 2014, un courrier vous faisant part de quelques mécontentements au sujet de la structure d’accueil où j’avais placé ma femme atteinte de la maladie d’Alzheimer, dans le cadre des séjours temporaires prévus par l’APA. J’ai bien reçu votre réponse et je vous en remercie. Il me faut maintenant vous tenir au courant des suites de ce séjour temporaire. Au terme de son court séjour, j’ai donc, comme prévu, récupéré ma femme pour continuer notre train de vie habituel à domicile. Son état était tel que sa neurologue, l’a admise d’urgence dans son service en moyen séjour. Je pensais, qu’au terme de cette hospitalisation, mon épouse reprendrait des forces et quelques repères. Malheureusement il n’en a rien été, car la prise en charge n’était qu’hospitalière, laissant ma femme livrée à elle-même toute la journée. C’est là que j’ai commencé à parler de mes déconvenues à divers aidants d’Alzheimer autour de moi. Le retour de mes investigations est on ne peut plus négatif.

Nous avons donc organisé, au mois de décembre, une réunion avec ces aidants voulant bien nous raconter leurs mésaventures auprès de divers établissements d’hébergement du département. Il en ressort, que ce soit pour des courts séjours ou des placements à long terme, que la prise en charge des malades d’Alzheimer en établissement est bien insuffisante. Nous relevons tout d’abord un manque cruel de personnel encadrant qui engendre nombre de dysfonctionnements tels que :
- L’omission ou le non-respect des horaires de prise de médicaments.
- Une hygiène corporelle et vestimentaire négligée.
- Un manque total de communication entre les équipes, la direction et les familles.
- Des repas donnés à la va vite sans aucun respect du rythme de la personne ni des lacunes qu’engendre la maladie d’Alzheimer ; provoquant d’autres troubles comportementaux et des problèmes de santé.
- Une absence quasi-totale d’animation spécialisée ou non pour les unités protégées, etc.

Ensuite nous relevons aussi et surtout la détresse des familles face à ces dysfonctionnements. Outre la culpabilité que peut générer le placement d’un proche en EHPAD, nous pointons les difficultés des aidants à se faire entendre par les équipes et les directions. Il faut que vous vous rendiez compte qu’il y a un nombre incalculable de familles qui n’ose pas dire son mécontentement sur la prise en charge de leur proche, par peur de représailles ! En ce qui concerne les séjours temporaires, ils sont si difficiles à trouver (puisque tous les établissements ne les proposent pas), que les familles préfèrent se taire de peur de ne plus pouvoir compter sur leur service si elles en avaient besoin par la suite. Pour les placements longs, les familles préfèrent le silence de peur que leur proche hébergé n’en subisse les conséquences au quotidien. Beaucoup ont bien essayé d’engager le dialogue avec les équipes soignantes mais celles-ci se sentent directement attaquées et se braquent. D’autres, comme moi, ont essayé de discuter avec les directions, mais les discours restent creux et complaisants, nous demandant de nous plaindre au Conseil départemental si nous persistons.

Dans l’un de vos courriers vous disiez : « L’occasion de rappeler à quel point Alzheimer et les maladies apparentées demeurent un enjeu majeur de santé publique ». Nous voyons bien que des services spécialisés se créent au fil des ans. Mais nous voudrions souligner l’importance de faire évoluer les services déjà existants qui se révèlent trop peu adaptés aux malades d’Alzheimer.

Les unités protégées qui s’ouvrent dans les EHPAD, ne sont en fait, que des unités ISOLEES, cachées derrière une porte codée, que même certains directeurs refusent de faire visiter avant l’admission. Nous avons l’impression que tout l’argent perçu par ces établissements est destiné aux moins dépendants, à ceux qui « vont bien » du côté hébergement simple, et que les unités spécialisées sont totalement oubliées (exemple vécu : lors de la collation de 16h nous avons observé que les personnes en unité protégée avaient droit à un gâteau acheté sous cellophane au supermarché, type Brossard, et un verre de sirop, alors que le côté hébergement « normal » se voit proposer un choix de boissons chaudes ou froides et des gâteaux à l’aspect beaucoup plus appétissant.)

Autre fait pour le moins révoltant : les animations. Elles font pourtant partie intégrante du tarif d’hébergement, mais ne sont quasiment jamais proposées en unité protégées… Pourquoi ? Souvent par manque d’organisation ; l’animatrice étant seule pour ces ateliers, elle ne peut surveiller et les résidents de la maison de retraite simple, et les résidents de l’unité protégée ! Et nous le comprenons bien… mais est-ce pour autant normal ? Les malades d’Alzheimer ont besoin de repères, de mouvement, d’animation pour ne pas sombrer dans l’apathie et la dépendance totale. C’est ainsi que la maladie prend le dessus : avec l’oisiveté ; et ces secteurs protégés s’en font malheureusement les spécialistes.

L’Etat a prévu des séjours temporaires dans le cadre de l’APA pour permettre à l’aidant naturel de trouver du répit. Mais peut-on vraiment parler de répit quand l’aidant, en plus de la culpabilité qu’il ressent de devoir placer son proche malade, doit veiller constamment sur son parent pendant ce séjour. Savez-vous combien d’aidants sont obligés de se rendre régulièrement à l’EHPAD où est hébergé leur proche pour lui donner son repas ? Ce nombre est considérable ! Non pas que l’aidant ait du mal à lâcher prise, car c’est souvent ce que l’on entend, mais parce que sans cela la courbe de poids baisse et la maladie évolue de plus en plus. Une personne Alzheimer a besoin de calme, de temps, de repères, d’être stimulée pour pouvoir manger correctement. Si déjà tous ces critères étaient réunis, plusieurs pourraient continuer à manger seuls et la charge de travail des soignants en serait finalement réduite. Mais les soignants sont débordés et manquent d’information sur la maladie ; les aidants, tout autant que les malades, ne peuvent que pâtir de cet état de fait.

Quand elle est entrée en court séjour, mon épouse était continente et se rendait aux WC seule. Le changement de lieu a fait qu’elle a perdu ses repères et à mouillé son lit deux nuits de suite. Etant seule pour surveiller trois étages comptant chacun 12 résidents, la veilleuse de nuit n’a eu d’autre moyen que de lui mettre une protection ; et je le comprends… Voyant cela en arrivant le matin, l’équipe de jour en a déduit qu’elle était incontinente et lui a mis une protection pour la journée. De ce fait, personne ne lui proposait plus d’aller aux WC et mon épouse n’étant pas encore prête à cela et gênée de demander les toilettes, se retenait jusqu’à mon arrivée l’après-midi. Il a fallu que je bataille pour que cette protection urinaire de jour soit enlevée, car quand j’arrivais à le faire comprendre à une soignante, il fallait recommencer le lendemain avec une autre. Une fois que toute l’équipe a été au courant, j’ai dû me confronter au problème des remplaçantes… J’ai fini par mettre une affiche dans sa salle de bain afin que chacun soit au courant que ma femme était encore continente et que je voulais qu’elle le reste dans l’optique de son retour à notre domicile. Mais rien n’y a fait… Mon épouse avait une protection urinaire en moyenne un jour sur deux ; jours où il y avait une nouvelle remplaçante sur son unité. Son hospitalisation en moyen séjour n’a pas amélioré la chose et aujourd’hui mon épouse a besoin de cette protection urinaire jour et nuit.

Aujourd’hui j’ai dû constituer un dossier d’admission permanent en EHPAD pour ma femme, car je n’y arrive plus… Sachez à quel point je suis inquiet pour son futur.
Je ne suis pas le seul dans ce cas de figure ; comment le mot REPIT peut prendre du sens quand le retour au domicile après ces séjours temporaires, aggrave notre quotidien déjà si difficile !

Comment peut-on souffler, quand ensuite il faut mettre les bouchées doubles pour retrouver un semblant d’équilibre déjà si compliqué à obtenir avec un proche Alzheimer à la maison ? Il faut repenser ces séjours temporaires avec un vrai projet de continuité du domicile, avec un personnel formé et une prise en charge adaptée. La perte de repères engendre déjà assez de problèmes à elle seule, alors le manque de stimulation, l’arrêt des gestes quotidiens accomplis au domicile, plonge le malade et l’aidant dans le cercle infernal de la perte d’autonomie accélérée.

Nous avons essayé de contacter l’Agence Régionale de la Santé afin de comprendre le fonctionnement de ces unités protégées. Nous voulions, dans un premier temps connaitre le ratio soignants/résidents dans un EHPAD simple et savoir si ce ratio était le même pour les unités spécialisées Alzheimer. Malgré plusieurs appels à différents postes, nous n’avons pu avoir de réponse. Nous avons donc appelé vos services du Conseil départemental et là les réponses sont floues : il n’existerait pas de ratio « préconisé » mais juste des moyennes observées… Nous aimerions comprendre ce fonctionnement afin de savoir d’où vient le problème ; mais cela semble très difficile.

Nous n’en sommes qu’au début de nos investigations, mais notre regroupement d’aidants est bien déterminé à faire évoluer cette prise en charge des malades d’Alzheimer. Dans un département qui compte près de 200 structures d’accueil pour personnes âgées, nous pensons qu’il est important d’attirer les regards sur les conditions réelles d’hébergement des personnes dépendantes et plus particulièrement des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Aujourd’hui c’est mon épouse et tant d’autres comme elle ; demain ce sera moi, après demain ce sera vous, et les aidants seront vos enfants… Protégeons-les de ces soucis et de cette vie d’aliénation. Faisons en sorte que les établissements d’accueil pour personnes âgées dépendantes deviennent de réelles structures de relais du domicile, avec de vrais échanges et une prise en charge adaptée.

Dans l’attente de votre point de vue je vous prie de recevoir, Monsieur le Président du Conseil départemental, l’expression de mon respect sincère.

A.M et C.P R.A.A Regroupement d’Aidants d’Alzheimer.
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Anny

Bonjour,
Totalement d'accord avec toutes vos remarques sur les unités Alzheimer qui laissent les malades pendant des heures sur un fauteuil en attendant un repas.
Le manque de personnel est effarant et les aidants ne sont pas aidés .
Courage à tous , malades et aidants.
Cordialement

Herreyre

Malheureusement je ne peux que confirmer la pleine vérité de cet écrit ayant vécu exactement les mêmes problèmes.

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