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Dans un monde parfait, texte d'une aidante

Auteur Rédaction

Temps de lecture 6 min

Date de publication 05/10/2015

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Dans un monde parfait, nos proches feraient leurs besoins à l’heure de passage des aides professionnelles et nous, aidants, nous pourrions rester les accompagnants bienveillants, respectueux de leur pudeur.

Dans un monde parfait, les assistantes sociales ne seraient pas débordées par un nombre toujours croissant de dossiers en souffrance, les textes de lois ne changeraient pas chaque semaine et nous aurions accès à la bonne information au bon moment.

Dans un monde parfait, les services sociaux instruiraient nos demandes dans un délai raisonnable, et y répondraient toujours favorablement, sans qu’il soit besoin de déposer des recours en révision, si gourmands en temps et en énergie.

Dans un monde parfait, les médecins nous reconnaîtraient d’emblée comme aidants et notre parole aurait autant de valeur que celle de n’importe lequel de tous les auxiliaires qui gravitent autour de leur patient, qu’il soit soignant ou non.

Dans un monde parfait les aidants pourraient conserver leur emploi, leurs loisirs, leurs amis, sans craindre que leur rôle auprès de leur proche n’empiète sur leurs « autres vies »

Dans un monde parfait la notion du rôle des aidants serait incluse dans les formations en santé, à tous les niveaux. On ne parlerait des aidants que sous ce vocable unique et non plus comme proches, familles, entourage ou en fonction de notre degré de parenté (fille de, épouse ou compagne de…).

Dans un monde parfait les contrats signés avec les organismes d’aides à domicile seraient tripartites, le prestataire, le bénéficiaire et son aidant.

Seulement voilà, nous ne sommes pas dans un monde parfait.

En 2015, il y a toujours 1 aidant sur 3 qui meurt avant son proche aidé. De là à penser que c’est d’épuisement, de stress, de manque de sommeil, d’avoir trop tardé pour assurer son suivi médical, faute de quelqu’un pour veiller sur le proche ou faute de moyens tout simplement, il n’y a qu’un pas, que je franchis.

En 2015, il y a de plus en plus de besoins en terme d’aides à domicile, les familles (crise oblige) peuvent de moins en moins les financer, nos proches vieillissent et sont de moins en moins autonomes, les enveloppes globales s’amenuisent. Bref, le gâteau est plus petit et papy-boom oblige, la situation va empirer d’années en années si rien n’est fait.

En 2015, les aides qui interviennent auprès de nos proches ne sont toujours pas toutes diplômées, leurs horaires sont toujours fractionnés, leurs journées toujours aussi pénibles, leurs salaires dérisoires, et quand on se sent à ce point méprisé, maltraité et si peu reconnu, il y a des chances pour devenir à son tour maltraitant, enfin disons que c’est un facteur de risque supplémentaire.

En 2015, un dossier d’aide déposé auprès de la MDPH met en moyenne 6 mois pour être instruit, et un dossier APA entre 4 et 6 mois. Qui prend le relais et assure l’intérim ? Les aides d’urgence ? Elles ne suffisent jamais, nous le savons tous.

En 2015, être aidant et conserver son emploi relève de l’exploit. Alors être aidant, conserver son emploi et ne pas voir son taux de stress tutoyer les sommets, là c’est de l’utopie.

En 2015, être aidant et conserver son emploi, c’est accorder une confiance illimitée à l’aide à domicile qui va passer pour lever/laver/alimenter/coucher/changer notre proche. C’est stresser parce qu’on n’est jamais sûr qu’elle passe, qu’elle soit à l’heure, qu’elle n’oublie pas, que ce soit la même que d’habitude, qu’elle connaisse la maison, la place des objets usuels, la routine de notre proche, que notre proche la reconnaisse et lui ouvre la porte, bref qu’aucune de toutes ces turpitudes ne se produise pas pour que tout se passe bien.
Mais c’est aussi enchaîner plusieurs journées en une, le travail salarié, celui de la maison (les aides à la personne ne sont pas aides ménagères, le ménage c’est pour les aidants), la préparation des repas (les aides à la personne ne sont pas cuisinières, les repas c'est pour les aidants) sans compter les nuits aux multiples réveils lorsque notre proche est désorienté et/ou malade. C’est aussi cumuler les soucis de deux maisons lorsque notre proche a gardé son domicile, les enfants qu’il ne faut pas négliger, la vie de famille, notre développement personnel, nos amis.

En 2015, être aidant c’est aussi voir ses perspectives de carrière stoppées net, parce que personne n’accorde sa confiance au travail à un collaborateur qui va passer une heure au téléphone pour décrocher un rendez-vous pour un scanner dans la semaine, programmer l’ambulance, décommander l’aide à domicile, ou qui part en courant à 10mn de la présentation du projet Truc en réunion, parce que son proche est aux urgences. Alors la promotion, on va la donner à un collaborateur aux contraintes familiales moins lourdes.

En 2015 dans le monde du travail, un collaborateur qui a un problème est un collaborateur qui pose problème. C’est d’ailleurs pour cette raison, que la plupart des aidants taisent leur situation à leur responsable et à leurs collègues, par peur de n’être plus considéré par la hiérarchie comme suffisamment fiable, impliqué et motivé.

En 2015, être aidant c’est être sur tous les fronts, gérer une équipe de soignants, coordonner le travail des intervenants pour qu’ils ne se chevauchent pas, ou n’empiètent pas sur le temps de l’autre, prévoir, anticiper, planifier. Gérer les susceptibilités de chacun, tout en respectant leurs domaines de compétences respectifs, gérer les urgences, les absences…

Etre aidant en 2015 c’est faire tout ça et bien plus encore. C’est changer son proche parce qu’on ne va pas le laisser souillé, même si la prochaine intervenante arrive dans deux heures. C’est lui servir son petit déjeuner et le faire manger parce qu’il est réveillé et qu’il a faim, même s’il y a une aide prévue pour ça, mais qu’elle arrive plus tard.

Etre aidant en 2015, c’est remplir des kilos de dossiers, écrire des kilomètres de pages, de lettres, de relances, faire les photocopies d’attestations, de certificats médicaux, passer des heures au téléphone à se faire balader de bureau en bureau, raconter sa situation à des dizaines d’inconnus, c’est être incollable sur les aides financières existantes, prestations, allocations et leurs acronymes (APA, PCH, AAH, MDPH, CLIC, MAIA…) et se battre pour faire reconnaître nos droits et ceux de notre proche.

Etre aidant en 2015, c’est relancer les services médicaux pour obtenir les résultats d’examens et taire l’inquiétude lorsqu’ils ne sont pas bons. C’est passer des heures au téléphone à la recherche d’un kiné qui intervient à domicile, et pleurer quand on l’a trouvé parce que l’heure de passage coïncide avec celle de notre pause quotidienne.

Etre aidant en 2015, c’est faire l’impasse sur les vacances et les week-ends parce que la maladie ou le handicap, eux, ne prennent pas de vacances. C’est chercher et trouver un lieu adapté pour nous et notre proche, pas trop loin, pas trop cher, avec une équipe et du matériel adapté à sa pathologie. Et patienter des mois parce qu’on est sur liste d’attente. Ou bien c’est, une fois de plus, essuyer un refus parce que notre proche ne rentre pas dans la bonne case.

Etre aidant en 2015 c’est tout ça et bien plus encore. C’est assurer une présence bienveillante auprès de notre proche, c’est le rassurer quand il est anxieux, le soulager quand il a mal, c’est s’assurer constamment de son confort et de sa sécurité, c’est avoir le souci de l’autre avant le nôtre. Au détriment de notre santé, de notre confort ou de notre sommeil. Au détriment de notre carrière, de notre vie de couple, de notre vie de famille.

Kat, aidante
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Bontemps

Magnifique et tellement pertinent témoignage. Toujours d'une criante et lamentable actualité 8 ans après sa rédaction. J'ai vécu cette situation. J'étais aidant à temps plein de mon épouse qui avait la maladie d'Alzheimer et qui était devenu totalement dépendante, y compris la perte de la parole, en mars 2020. Elle est décédée le 9/11/2022 à l'hôpital où elle avait été admise pour une pneumopathie. Les médecins décidaient, j'ai du me battre pour qu'on puisse la nourrir par différentes techniques. Je me suis senti bien seul dans l'accompagnement de mon épouse qui allait avoir 75 ans. Je sentais bien qu'il n'y avait pas une volonté forte pour prolonger mon épouse qui avait toujours un petit lien de communication avec moi. Je faisais de l'acharnement et j'étais dans le déni! Mais mon épouse malgré sa situation n'était pas un "légume" . Je n'ai jamais accepté qu'il soit décidé de sa vie, ce que je subodore quand elle a du être hospitalisée, je n'avais plus le contrôle. Elle est décédée 8 jours après son entrée à l'hôpital.
L'aidant devrait avoir une reconnaissance officielle par la sécurité sociale et bénéficier d'une charte de ses droits et obligations générales et des prescriptions spécifiques relatives à la situation particulière de la personne malade. Mais aussi, faire que cette fonction d'aidant soit officiellement reconnu par le corps médical, comme partenaire participant et habilité aux soins qui seraient définis dans un protocole qui engagerait chaque partie. Cette habilitation serait décidée après examen du dossier du malade, de l'aidant, du contexte d'accueil, par une commission composée du médecin traitant, du médecin hospitalier (Had), du médiateur, d'un représentant des usagers de l'hôpital de l'aidant ou de son représentant.

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