Aller sur la navigation Aller au contenu principal Aller sur la recherche

Bien vieillir (prendre soin de soi)

Mort, sexualité, scatologie et eschatologie

Auteur Rédaction

Temps de lecture 6 min

Date de publication 29/08/2018

1 commentaires

Lettre ouverte à Madame Jacqueline Jencquel

DR Pradines tribune
Madame,

J’ai 68 ans. Je suis gériatre en retraite active. J’ai exercé pendant dix-huit ans et demi dans le service de Soins de Longue Durée à Albi. Je vous écris aujourd’hui car je vous ai bien écoutée, comme bien d’autres, dans la vidéo diffusée la semaine dernière.

Vous nous dites que vous avez 74 ans et que vous avez programmé volontairement votre décès en janvier 2020. Vous vous présentez comme une femme décidée à aller à Bâle pour un dernier voyage au pays du suicide assisté, car, dites-vous, il faut bien fixer une date. Votre ton est calme et déterminé, votre langage est souvent fleuri ; il a le mérite de l’authenticité. Votre but est manifestement de « faire le buzz », ce qui n’est pas péjoratif sous ma plume, car vous souhaitez promouvoir un changement de loi envers la fin de vie dans notre pays. Votre audience est déjà acquise.

Nul ne sait quand il va mourir


Vous affirmez que l’on commence à avoir des problèmes sérieux de santé à partir de l’âge de 75 ans. Euh… Ce seuil ne repose sur aucun constat pour un individu donné, même si cette assertion est partiellement vraie au niveau collectif. En dehors des situations de violence ou de la peine de mort, nul ne sait, s’il est en bonne santé, quand il va mourir. Aussi, devant le constat de votre condition enviable à votre âge, vous semblez vous raviser quelque peu à la fin de l’entretien. C’est sage.

Vous redoutez l’infantilisation liée à la dépendance pour les actes de la vie quotidienne. Cette attitude est présente tout au long de nos vies du fait de nos dépendances multiples ; il suffit de regarder la publicité omniprésente dont nous sommes abreuvés et submergés. Mais vous nous parlez de celle qui persiste encore dans certains EHPAD. Je voudrais vous rassurer. « Parler bébé » n’est pas une obligation ni une recommandation soignante, simplement l’extrapolation d’une attitude culturelle ici déplacée et dépassée. C’est la conséquence d’une croyance erronée : la vieillesse serait assimilable à un simple retour à l’enfance. Cette situation n’est pas irrémédiable. Les formations des personnels, leur nombre et leur encadrement peuvent être améliorés. Encore faut-il que nous nous confrontions à cette réalité sans la fuir dans l’inaction habituelle ou le suicide programmé.

Vous nous dites que la dépendance est synonyme de malheur. C’est mal connaitre les évolutions et les adaptations dont nous, humains, sommes capables. Veuillez demander aux personnes âgées dépendantes ce qu’elles souhaitent. Elles vous parleront le plus souvent d’affection, de présence à leurs côtés, de bienveillance. Comme vous, elles ont besoin d’être écoutées. Sauf exception, elles ne demandent pas que l’on mette fin à leur vie. Comme bien des personnes plus jeunes et plus performantes, elles peuvent souhaiter que leur condition soit améliorée.

Vous nous parlez de votre fin. Nos ancêtres attendirent longtemps la fin du monde. Désormais, Madame, faute d’Apocalypse, chacun en serait réduit à programmer son propre terme. Vous le savez, les retraites et les soins sont une charge budgétaire jugée insupportable, les vieux sont implicitement de trop. S’ils disparaissent, ils ne pèseront plus sur leur famille, et, vous ne le dites pas, sur la société afin de ne pas déranger l’ordre néolibéral . Le message subliminal est donc le suivant : vous êtes priés de bien vouloir vous en aller, avec discrétion si possible. Avec propreté aussi, sans éclaboussure.

Après moi, le déluge !


La réponse des anciens à ce message, à vous écouter, devrait être un chacun pour soi, un nouveau sauve-qui-peut. Je n’entends pas un mot de votre bouche pour que les EHPAD deviennent plus accueillants, que la fin de la vie soit humanisée ou contre la désertification médicale. Vous n’évoquez pas les inégalités sociales et territoriales, l’accès aux soins qui se dégrade, la crise des urgences. Non, il faudrait entonner l’éloge de la disparition individuelle. Après moi, le déluge !

Vous êtes de notre temps : vous évoquez les lobbies, le pharmaceutique et celui des EHPAD. Votre plaidoyer est recevable à mes yeux s’il s’agit de l’amélioration des EHPAD. Mais vous ne dites mot de la pression économique permanente, des lobbies politiques, philosophiques, des idéologies utilitaristes et de la réalité sociale qui sous-tendent en grande partie la volonté de légaliser le suicide assisté.

Vous revendiquez le titre de militante, terme sentant désormais le soufre, ce qui est courageux de votre part par ces temps de démobilisation généralisée. Bien. Mais militante de quoi ? Pour qui ? Pour votre ego ou pour la collectivité ? Pour appeler à la mort ? Pour permettre et encourager le suicide assisté, la grande évasion que vous présentez comme un progrès ? Un suicide recevant l’onction de la loi ainsi que l’approbation et l’aide technique des soignants ? Un beau cadeau qui ne saurait leur déplaire !

Vous nous parlez de religion et de sexualité. Vous vous défiez des promesses paradisiaques et infernales. Je vous rejoins sur ce point. Vous en profitez, avec humour, pour railler la perspective sexuelle enthousiasmante de « baiser des vierges ».

Pour rester au paradis tel que vous l’ironisez, votre phantasme de fellations multiples d’hommes jeunes, dont votre interlocuteur, a quelque peu embarrassé celui-ci. Sourions un peu. De la même génération que France Gall, vous vous faites une meilleure idée des sucettes. Il est vrai que vous ne gardez pas votre langue dans votre poche. Mais votre sexualité, réelle ou imaginaire, est absolument respectable car elle ne s’impose à personne ; pourquoi ne respecteriez-vous pas celle d’autrui, celle des vieux gros à grosse poitrine qui ne peuvent plus avoir d’érection ?

Vous confrontez leur sexualité, ici caricaturée, au modèle de la jeunesse ; vous ignorez celui de la vieillesse car implicitement refusé, explicitement vilipendé, ridiculisé. Or, nous savons que la sexualité se modifie au grand âge. Elle s’oriente souvent vers les caresses et la tendresse, le contact intime et bienveillant des corps, la complicité . Peut-être éprouverez-vous ce bonheur prochainement.

Vous vous faites aussi une piètre opinion des hommes jeunes qui ne pourraient établir une relation amoureuse avec une femme de votre âge que pour être entretenus. Serait-ce le cas de notre actuel président de la République que vous comptez solliciter ? Bien qu’en désaccord avec lui, voici un procès que je ne lui ferai pas. A son propos, pourquoi aller supplier, comme d’autres, le président de la République comme au temps de l’Ancien Régime ?

Egocentrisme revendiqué


Vous nous affirmez sans trembler que vous avez mis vos enfants au monde pour votre propre plaisir. Merci encore pour votre franchise, celle d’un égocentrisme revendiqué. N’avez-vous jamais pensé que ce serait aussi pour leur plaisir ? Du fait d’un pari sur l’avenir, d’une confiance inavouée voire inconsciente dans leur futur et celui de l’humanité ? Est-ce si invraisemblable, si utopique ?

Vous avez la chance d’avoir, dites-vous, tout fait dans la vie. Vous êtes donc une des rares personnes à penser qu’il n’y aurait rien à découvrir à partir d’un certain âge. Péché d’orgueil ou aveuglement ? Même l’amour et la passion seraient forclos pour vous. Ah bon ? Comment en êtes-vous aussi assurée ?

Vous ne voulez « faire chier » personne, à commencer par vos enfants et vos petits-enfants. Sourions encore. Vos descendants souffrent peut-être de constipation et cette intention serait louable. Plus sérieusement, vous décrétez que l’accompagnement d’une personne dépendante est forcément une sorte de calvaire. C’est passer à côté de la réalité, ne retenir que les difficultés et oublier les plaisirs d’aider, les rapprochements et les retrouvailles constatées par les nombreuses études sur ce sujet.

Vous sous-entendez l’autonomie comme le fait de rester jeune. Votre jeunisme est tellement prégnant que l’on ne s’étonne pas de vous entendre stigmatiser la vieillesse et la dépendance. Je crains que votre mépris soit une des formes de la misanthropie, pas seulement d’une gérontophobie provocatrice.

Mais il ne faut pas insulter l’avenir. Je vous souhaite une longue vie et voudrais bien vous entendre à nouveau sur bien d’autres sujets tant votre prestation d’août 2018 a retenu mon attention et celle d’un grand nombre de personnes. Merci Madame.
Partager cet article

Jacqueline Jencquel

Cher docteur ,

Je suis tombée par hasard sur votre tribune . D‘ une grande sagesse . Très bienveillante aussi .

Je suis encore là : la naissance d‘ un petit- fils le jour de mon anniversaire et le nouveau virus ont retardé l‘ échéance que je m‘ étais fixée .

Je serais heureuse de vous parler .

Bien cordialement

Jacqueline