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Les lauréats de l'opération Lettres à ... 2011 de la Fondation Nationale de Gérontologie

Auteur Rédaction

Temps de lecture 10 min

Date de publication 26/09/2011

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Des lettres pour changer le regard que la société porte sur les personnes âgées

Lettre a de la fngL’opération "Lettre à…", créée par la Fondation Nationale de Gérontologie en 2001, a pour vocation de donner la parole aux personnes âgées en leur proposant d'écrire une lettre sur un sujet qui leur tient à cœur et qui est soumise à un jury. Cette année : 268 lettres ont été rédigées dont 15 lettres collectives et 8 lauréats ont été designés.

Résidants en établissements, personnes âgées à domicile et connues des services d'aide à domicile, habitués des foyers-clubs, tous ont été appelés à témoigner en participant à cette opération nationale.

Les auteurs
Résidant majoritairement en établissement, les auteurs, conformément aux données démographiques et aux années précédentes sont des femmes (66,8 %) mais les représentants de la gent masculine sont plus nombreux en 2011 (26,5% contre 18,4% en 2010).
La représentation des moins de 85 ans devient légèrement supérieure (42,9% contre 42,5% chez les plus de 85 ans) mais 23,5% des auteurs ont plus de 90 ans. Les catégories socioprofessionnelles les plus représentées sont les professions intermédiaires et les employés, les moins représentés étant les agriculteurs et les ouvriers. Quasiment 12 % n’ont pas eu d’activité professionnelle.

Les lettres
Pour 82,7% des lettres, il s’agit de récits simples. Récits de pans ou de morceaux de vie pour 54,6% d’entre elles, leurs messages sont des témoignages d’affection (25,1%) ou sont l’occasion d’une démarche de réflexion (14,2%). Ces lettres sont destinées le plus souvent aux membres de la famille et plus particulièrement aux descendants (enfants, petits-enfants) et aux conjoints, même si la place des ascendants n’est pas négligeable (plus de 9%).

Si 42 auteurs s’inscrivent davantage dans la plainte ou dans l’expression d’une souffrance, la tonalité générale est plutôt positive (46,3%).

La temporalité dominante reste comme chaque année le présent (35,6%), et des auteurs qui associent flash-back et impressions sur leur vécu actuel quelle que soit la thématique abordée.

Les thématiques les plus fréquemment abordées concernent la vie familiale passée (25,9%) et présente (12,3%) et la vie en institution (14,5%). Viennent ensuite les us et coutumes de la vie quotidienne (10,6%), les faits de société (7,8%) et, à égalité, la vie relationnelle et amicale et la mort d’un proche (5,6% dans les deux cas).

Les lauréats de la 11ème édition de "Lettre à …" 2011

Extraits des 8 lettres primées

Premier Prix ex aequo
Denise, 81 ans

Chers 3 Suisses,
Merci de vous être mis en 4 afin de créer et de commercialiser le 2 pièces tankini qui va me permettre enfin de goûter à nouveau, à 81 ans passés aux joies de la piscine en compagnie de mes co-résidents d’âges assortis.
L’ampleur de mes hanches combinée à ma courte stature m’avait en effet depuis longtemps condamnée à me priver de la jouissance du barbotage, au risque de voir les bonnets du soutien-gorge parvenir à la hauteur des yeux.
L’heureux travail de votre catalogue dans ma boîte aux lettres m’a boosté le moral. Je vais enfin me mettre à l’eau !!! en tankini.
Tous mes glouglous aquatiques reconnaissants et mes splatchs les plus sincères.

Premier Prix ex aequo
Denyse, 92 ans

A ma fille,
Ces temps-ci, j’ai beaucoup de travail avec les oiseaux, je les nourris, ils mangent… ils mangent…
C’est à toi ma fille disparue, si jeune, si belle, que je parle, je pense à toi tout le temps. Je regarde ta photo et ne peux imaginer que tues partie et que je reste seule. Pensée permanente…Chaque jour, je pense à des choses invraisemblables… je pense à mes arbres.
Tu m’accompagnais dans notre verger, nous comptions les arbres, les pommes…. Nous visitions le cerisier très haut dont seul ton père pouvait tailler les branches… C’est si beau, un panier de cerises, bien plein, bien rond…
J’ai des souvenirs heureux, des regrets aussi : de cette vie simple, très unie
Tout cela , est-ce intéressant ?
Ou seulement pour nous deux ?
Où est ma petite fille que j’embrasse tant et tant ?

Deuxième Prix
Liliane, 69 ans

A ma mère,
Oh, maman, comme je regrette de ne pas t’avoir dit plus souvent que je t’aimais ! Ce trop plein d’amour que je n’ai pas su te donner lorsqu’il était encore temps. J’aurai tant voulu te protéger, trouver les mots justes pour apaiser ta peine.
Hélas jour après jour, ta vie devint un marigot de boue dans lequel tu ne pouvais te désaltérer ; alors, avec les verres de vin et d’alcool, tu colmatais les brèches de ta douleur, tu faisais éclore les bulles d’espérance dans ta tête et la journée devenait plus paisible ;
Ta vie déclinait plus vite chaque jour ; je m’asseyais sur le bord de ton lit en te suppliant de me révéler qui était mon géniteur ; tu avais tout juste la force de te cacher derrière ton éternel sourire, qui semblait dire : « ne me demande pas çà, ma chérie…

Troisième Prix
Lettre collective

A Madame le ministre des aînés,
Selon une enquête récemment diffusée à la télévision, il semblerait que 95% des jeunes interrogés ne veulent plus payer la retraite des vieux. Par ailleurs, les progrès scientifiques allongent désespérément l’espérance de vie.
Conscient de ce problème, un collectif de résidents s’est constitué dans la maison de retraite où je réside pour faire des propositions, dans l’espoir de combattre le fléau que nous sommes devenus….
Après une intense réflexion au cour de laquelle quelques neurones ont pété, nous vous soumettons le résultat de nos profondes élucubrations.

Quatrième Prix
Juliette, 96 ans

Aux médecins adeptes de l’acharnement thérapeutique
Elle allait avoir 22 ans. On l’a trouvée inerte dans sa voiture dont l’avant-gauche était encastré le long d’un arbre, sur une route de campagne…/ Une longue semaine, elle est restée dans le coma. « Si elle est reprend connaissance, elle restera handicapée » dirent les médecins. « Non pas cela, s’exclamèrent les parents, elle ne le supporterait »
Les médecins de cet hôpital ont fait preuve d’une grande humanité dont nous leur savons gré…/ Pourquoi ne fait-on pas preuve de la même humanité envers les grands malades et les personnes âgées ?

Cinquième Prix
Gisèle, 86 ans

A une amie
Hier, je suis allée chez le dentiste…/ et en chemin il m’est arrivé quelque chose que je veux à tout prix te raconter. C’était vraiment trop drôle. Me voilà partie avec mon déambulateur en traînant la patte…/ Il y avait plusieurs jours que je n’étais pas sortie et tu sais que j’aime le soleil par-dessus tout. Je reste donc au coin de la rue, j’ai tout mon temps, je ferme les yeux et je tends le visage vers les chauds rayons de soleil. C’est alors que quelqu’un m’attrape résolument par le bras, sur ma droite, j’ai tellement eu peur que je manque de lâcher mon déambulateur et la personne me hurle dans l’oreille : « Viens Mémé, on y va »…

Sixième Prix ex aequo
René, 90,5 ans

A Raymonde, ma marraine de guerre
Paris 1944. La 2ème DB vient de libérer Paris, et l’officier de ma compagnie m’appelle pour partir en toute hâte vers une autre mission. Je n’ai aucun moyen de vous prévenir et je suis très triste de devoir partir précipitamment sans vous expliquer pourquoi… /
Bordeaux, Novembre 2009, j’ai 89 ans. Grâce à ma fille à qui j’ai confié mon secret, nous pensons avoir retrouvé votre trace. Aujourd’hui je vous écris….
Novembre 2010. Vous m’appelez, vous avez hésité un an avant de m’appeler, mais c’est bien vous, 76 ans nous ont séparés


Sixième Prix ex aequo
Amor, 73 ans

A ma chère femme et à mes chers enfants
Toi mon fils aîné, tu n’es pas marié, cela me tracasse beaucoup…/ Mustapha, ta femme a été choisie et ton mariage est prévu pour juillet-août, au bled
Achoua, tu as trois filles, tu es mariée pour toi ça va
Lamia tu es divorcée, c’est ta destinée…./
Ma femme je t’aime comme au premier jour, j’ai confiance en toi comme tu as confiance en moi.
Pour ma santé les remèdes sont bons ici. Un seul problème, mes papiers, j’espère un jour, j’aurai la nationalité française, je l’avais en 44 et après plus…/
Les enfants il faudra qu’ils soient des hommes, je leur souhaite la santé.


Un recueil d’une centaine de lettres rédigées dans le cadre de "Lettre à…", est disponible auprès de la
FONDATION NATIONALE DE GERONTOLOGIE
49 rue Mirabeau 75016 PARIS
Tel : 01 55 74 67 16 – email : dorange@fng.fr

En savoir plus : www.fng.fr

A propos des lettres .. Entretien avec Martine Dorange, psychosociologue FNG

Pour un psychosociologue, que représente l'opération "Lettre à …" ?
C'est un outil de connaissance pour soi, pour les autres.
Connaissance pour soi dans la mesure où l'écriture peut permettre une mise à distance par rapport à soi et constituer un moyen de "se chercher", de continuer de se construire et de poursuivre son parcours, quelle qu'en soit la durée.
Connaissance pour les autres dans la mesure où la lecture de ces lettres nous rappelle que tous ces vieux appartiennent à notre monde et ne sont en rien figés dans un passé idéalisé. Si leur condition les contraint à s'intéresser au monde autrement, la temporalité dominante de tous ces écrits est le présent. Par ailleurs, à ce moment de l'histoire de vie, il n'est pas surprenant de voir que le passé occupe une place importante, c'est aussi l'occasion d'une balade à travers le temps, de comparaisons entre hier et aujourd'hui, d'une rive à l'autre.

Quels sont les thèmes abordés dans ces lettres ?
Voici les résultats de l'enquête : la famille, la société et le rapport au monde, la vie en institution, la vie quotidienne, la vie relationnelle et amicale, le rapport à la vie,
Et en tout dernier : le corps, la santé et le handicap. C'est très intéressant, car compte-tenu du fait que 65 % des personnes vivent en maison de retraite, on aurait pu penser que ce thème du corps, de la santé et du handicap occuperait une place importante dans leurs écrits. Mais globalement, même en situation de handicap et de pathologies lourdes, quand on leur autorise un espace d'expression personnelle, ce thème arrive en dernier. Ces personnes âgées s'inscrivent dans la vie !
D'ailleurs le mot VIE est le mot le plus fréquemment utilisé dans les lettres.

Quels objectifs visent les auteurs de ces lettres ?
Ils peuvent être regroupés autour de cinq grands axes : transmettre, témoigner de son attachement à un proche, parler autour de non-dits, réparer, réfléchir.

Pourrait-on parler de bénéfices pour les auteurs ?
Certainement. Pouvoir écrire permet de continuer à faire partie de la société, de s'inscrire encore dans le présent, 40% des lettres sont dans cette temporalité.
Écrire permet aussi de replonger dans sa vie, son passé, son histoire.
Dans certains cas, c'est aussi l'occasion d'évacuer, dire ce que l'on n'a pas pu dire, les lettres de restauration sont dans ce registre, de même que les aveux d'événement traumatisants longtemps tus.
Écrire autorise aussi à exprimer ses propres idées.
"Lettre à…" est un moyen de réhabiliter un espace où le "je" remplace le "il", le "on" ou le "tous semblables" symptomatique des prises en charge institutionnelles globalisantes et collectives. C'est un moyen de réaffirmer la primauté de l'individu, de l'histoire singulière et de pouvoir, pour chacun des auteurs, réaffirmer son identité personnelle. C'est aussi un moyen de restaurer un lien interpersonnel ou, pour reprendre l'expression d'un animateur, "un lien de un à un".

Qu'en pensent les animateurs ?
Les animateurs et les psychologues qui mettent en place "Lettre à…" soulignent son importance pour aider les personnes à s'ouvrir à l'extérieur et favoriser les échanges entre résidents. En institution, cette action permet de créer un espace de liberté tout en soutenant l'identité personnelle et en travaillant la notion d'affirmation de soi.

La lecture de ces lettres est souvent une surprise, une découverte !
C'est en cela que "Lettre à ..." est un vecteur de changement car les lettres donnent à voir et à regarder autrement pour que chacun des vieux échappe au regard excluant et enfermant qu'on leur renvoie trop souvent. C'est pourquoi il est intéressant de les faire connaître à un large public, y compris les jeunes !
L'opération et l'étude valident aussi la nécessité d'un autre "vivre ensemble" au plan sociétal.
Ce sont eux qui le disent !

Qu’est-ce qui caractérise les lettres lauréates de cette édition 2011 ?
Toutes les lettres abordent des sujets sérieux mais avec beaucoup de distance. Pour certains, la tonalité est grave mais ce qui me frappe le plus cette année, c’est l’humour distancié et critique dont font preuves les auteurs.
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