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Personnes âgées : quel lieu pour vieillir ? Débat organisé par le Centre d'éthique clinique de l'hôpital Cochin (Paris)

Auteur Rédaction

Temps de lecture 11 min

Date de publication 30/01/2012

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Bien être en établissement : d’abord une histoire de consentement

Logo centre éthique clinique« Ou vieillir ? » était le thème du 4ème débat citoyen, ce 24 janvier, dans la série « Et si les vieux vivaient encore » organisée par le Centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin APHP, avec le concours de Libération et de France Culture et de nombreux partenaires. Des études tant en France qu'en Norvège ont observé sur un plan éthique comment se prenaient les décisions concernant les personnes âgées accueillies en établissement au point de vue médical ou social et révèlent que ces dernières y prennent rarement part. Constat et analyse.

Entrée en maison de retraite, choix du lieu après une hospitalisation, stratégie à mettre en œuvre face à des problématiques telles que cancer, trouble du comportement, chirurgie, sur 66 situations étudiées à la fois auprès des âgés mais aussi de leur médecins et de leurs proches, en île de France dans 9 établissements représentatifs de l’offre d’accueil, il s’avère que le consentement est bafoué.

Il semble que l’autonomie de la personne, sa capacité à décider pour elle-même soit mise à mal en raison de sa situation de « dépendance ». Le « placement » ou « institutionnalisation » est en effet motivé à la fois par les soignants et la moitié des proches par le besoin de « prise en charge » médical, par celui de sécurité (ne pouvant faire plus : « c’est le minimum qu’on leur doit » estiment les proches et enfin une meilleure qualité de vie grâce aux soins pour lutter contre la « dépendance ».
Dans les établissements associatifs est également évoquée la notion solidarité avec les personnes vulnérables et de la part des proches celle de « bienfaisance » ainsi que le désir puis le constat d’une relation avec le parent âgé plus facile qu’à domicile.

La question du consentement ne peut être balayée. Des conditions d’entrée dépend en effet le bien être de la personne tout au long de son séjour : elles doivent être repensée, refondées préconise le Centre d’éthique clinique.

Jean Marie Delarue, contrôleur des lieux de privation des liberté, interrogé par Liberation confirme en effet : "Je pense qu'il y a un certain nombre de personnes âgées mais aussi de personnes handicapées qui sont comme assignées à résidence." Toutefois le contrôleur des lieux de privation de liberté précise que "en principe les gens venant volontairement dans les Ehpad, ce critère "nous interdit d'y aller".
Outre le fait que dans les Ehpad des espaces réservés à des résidents dits fugueurs soient clos, il s'inquiète de la "tendance à faire des Ehpad très grands, pour 120 résidents, sans personnel adapté. Le risque d'introduire des mesures sécuritaires déplacées en terme de libertés est important". "On ne doit jamais passer au dessus du consentement de la personne. Il est anormal que l'on décide de la manière dont certaines personnes doivent vivre, et cela sans leur accord" conclut-il.

Vers une démédicalisation des Ehpad pour préserver l’autonomie ?
De cette étude francilienne il ressort que beaucoup de personnes entrent en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (ehpad) à reculons. La prise en charge qui s'avère pourtant utile se trouve être en totale contradiction avec l’autonomie à laquelle il est laissé peu de place.
En conséquence la recommandation va vers une prise en soin davantage palliative qui ferait moins de place au médical pour en laisser davantage à l’accompagnement psychologique de l’autonomie. La situation serait différente en province selon certains participants.

Passé / Présent. Personnes accueillies et personnel soignant ne vivent pas dans le même temps. Pour les soignants, le présent prend toute la place ; tout se passe comme si en entrant la personne avait dû abdiquer son passé. Le présent prend un poids démesuré et, dans ce présent, seul compte le dossier médical.
A côté du dossier médical, la question d’un dossier personnel est évoquée pour que le passé des résidents cesse d’être ignoré par les soignants. « Plus c’est médical, moins c’est personnel et moins c’est humain » avance en conclusion le Centre d’éthique clinique, « le respect de la personne dans l’autonomie inhérente à sa condition humaine est oublié. »

Et si on remettait de l’humain dans le médical interroge un participant ? Si on connait mieux la personne on la soigne mieux. Quid de l’autonomie dans les états de troubles cognitifs est-il aussi demandé ?

Des responsables d’établissements situés en province, présents, ne reconnaissent cependant pas leur réalité dans le constat fait. Certains estiment qu’en effet la décision d’entrée est trop tardive. D’autres affirment, que, pour ce qu’ils connaissent, une large moitié des résidents est consentante, d’une part, que le projet de vie est reccueilli à l’entrée, d’autre part. Est-il pour autant respecté ? interroge-t-on?
La question de l’intime et celle du droit au risque, également évoquées font aussi écho au propos de Jean-Marie Delarue.

La Pr. Reidun Forde du Centre d’Ethique médicale de l’université d’Oslo témoigne d’une situation très similaire en Norvège, pays dans lequel malgré des valeurs de solidarité et d’équité reconnues très fortes au sein de la population, des études ont révélé le peu d’écoute dans les maisons de retraite de la voix des résidents dans les décisions qui les concernent.
Une minorité dit participer aux décisions alors que la majorité le souhaiterait, même en cas de maladie, si la décision à prendre est conséquence d’une information « grave ». Une minorité ne voulant pas participer fait confiance à la famille.
Les personnes âgées bien que se montrant reconnaissantes de l’aide qui leur est apportée dans les maisons de retraite médicalisées norvégiennes manifestent leur chagrin de quitter leur domicile et signalent qu’elles préfèreraient être ailleurs .
Beaucoup de résidents estiment ne pas être traités comme des humains. Un fait qu’ils jugent plus important encore que d’être exclus des décisions.
Pour Agevillage, Reidun Forde reprend les principaux enseignements des études réalisées qui révèlent l’absence de bonnes pratiques éthiques. « Etre une bonne infirmière ne suffit pas. Bien traiter les gens n’est pas une affaire de traitement médical.
Des connaissances éthiques sont essentielles de même que veiller à la manière dont on parle aux personnes dont on prend soin est essentiel si l’on veut favoriser son bien être.


Voir l’interview en anglais traduite en français

Le milieu favorise la qualité de vie des personnes âgées

Dans le cadre du débat sur le thème « Quel lieu pour vieillir ? organisé par le Centre d’éthique Clinique ce 24 janvier (lire l'article) une table ronde réunissait Didier Tabuteau, directeur de la chaire Santé de Science Po, Paris ; Paulette Hofman, ancien agent hospitalier et syndicaliste, François Bertin Hugault, médecin dans le groupe Korian, Jean-Paul Déramble, Maitre de conférence, Histoire, Lille et président de la Maison des Champsainsi que Marie Françoise Fuchs, Présidente de l’Association Old Up.
Eric Fiat, philosophe a conclu ces débats sur l’offense faite aux vieux.

Pourquoi se poserait-on la question d’un lieu pour vieillir à 60 ans interroge Didier Tabuteau. C’est l’âge où l’on choisit un lieu pour vivre dégagé de toute contrainte. Le choix se porte souvent d’ailleurs dans des zones peu adaptées au vieillissement.
Dans l’avancée vers le grand âge surviennent en revanche peurs, angoisses, les décisions deviennent plus difficiles. L’arbitrage entre inquiétude et désirs se révèle complexe. La maison de retraite, l’ehpad, concentre des difficultés à résoudre pour garantir l’autonomie. Il n’y a selon lui pas de solutions toutes faites, c’est une question de circonstances, de personnalités en présence.


Ecouter un extrait de son intervention



La dignité est un élément essentiel de la vieillesse, affirme Paulette Hofman ancien agent hopitalier et ancienne présidente de la section sociale du Conseil économique et social qui lutte depuis 30 ans dans cet objectif. Il reste énormément à faire pour répondre aux questions de prise en charge, d'hébergement et de soins aux personnes âgées estime-t-elle. Aujourd'hui encore, insiste l'auteur d'un avis du Conseil économique et social datant de 1983 sur ces thématiques dont elle donne lecture.


Voir des extraits de son intervention



"Il vaut mieux un milieu de vie très riche qu'un lieu de vie trop perfectionné" estime Jean-Paul Deramble, Président de la Fondation Maison des Champs (Services à domicile), Maître de conférence, Histoire, Lille. Pour lui l'aide à domicile restaure un lien d'humanité. Comment sommes nous avec les gens qui vieillissent ? Comment notre société vit-elle son vieillissement ? Interroge-t-il. Le vieillissement est une question d'humanité, ne pas se poser cette question c'est rompre le continuum. "Je suis jeune et vieux en même temps, c'est le milieu qui permet de réunir ce que nous, nous séparons". A domicile comme en établissement, les difficultés sont les mêmes. Quand le milieu est fort on ne se pose pas trop de questions techniques.


Voir un extrait de son intervention



François Bertin Hugault, médecin (Korian) indique que l'enjeu est bien de maintenir l'équilibre entre les exigences de la vie en collectivité et le respect de l'intimité du résident.

Question de sens. Marie Françoise Fuchs, présidente de l'association "Old Up" entend bien dans ces débats, l'ensemble des propos tenus que "nous avons peur d'entrer en maison de retraite dont l'image de beaucoup a été détériorée". Les meilleurs critères de satisfaction sont d'ordre relationnel. les maisons de retraite où les gens se sentent bien peuvent être les moins couteuses où l'entourage, l'environnement est favorables, celles dans lesquelles se retrouvent des personnes du même "bled" explique-t-elle. Alors la personne se sent en sécurité.

Donner du sens, de l'utilité à l'allongement de la vie. C'est la vocation d'"Old Up". Elle invite les institutions à ne jamais oublier de méditer sur ce point.
Pour essayer de rester autonome jusqu'au bout, d'être acteur de sa vie et dans la société, les membres de l'association s'attachent à prévenir, anticiper ...


Ecouter un extrait de son intervention

Les très âgés : des personnes dignes d’être accompagnées ou des objets à prendre en charge ? interroge Eric Fiat, philosophe

O rage ! O désespoir ! O Vieillesse ennemie ! Pour Eric Fiat, invité à conclure ce débat du 24 janvier 2012 organisé par le Centre d'éthique clinique, sur le thème "Où vieillir ?" il y a lieu d'être inquiet.
Il semble que notre époque ait tendance à considérer la vieillesse comme une malchance plutôt que comme une chance et le grand âge plutôt comme une charge. Le couplet cornelien est d'actualité. Le vieillissement est en effet l'ennemi contre lequel nous sommes fortement invités à lutter.
Les très âgés : des personnes dignes d’être accompagnées ou des objets à prendre en charge ? Eric Fiat crie au scandale, à l'offense faite aux vieux que l'on "prend en charge", que l'on "place". Que l'on écoute ? Non.

Ecouter cet extrait de la conclusion d'Eric Fiat

Notre société ne met pas les moyens politiques à la hauteur de ses ambitions éthiques.
Dans les familles, en établissement, on sait, on constate que de la maltraitance existe. Elle est souvent liée à l'épuisement des aidants que ceux-ci soient professionnels ou membres de la famille de la personne âgée accompagnée.
Le domicile peut aussi ne plus être la solution insiste Eric Fiat, lorsqu'on y est seul, qu'il y a"déchirure du lien social". Il distingue la solitude provisoire et choisie, source de plaisir, de la solitude durable et imposée, chose terrible. De même aller en maison de retraite peut devenir une chance, si chez soi l'on ne reçoit plus de visite.
Eric Fiat invite ainsi à abandonner tout dogmatisme, à s'adapter aux situations, à écouter "ce que leur pauv' mains racontent" citant Brel et déplorant qu'on prive les vieux de leur liberté d'être au monde.
Le dilemne surgit lorsqu’advient le ni, ni ne pas, le « je ne peux ni la mettre dans une maison de retraite , ni ne pas la mettre."
Pour trouver la moins mauvaises des solutions, il convient de créer un tissu de relation et cela demande des moyens.
Ecouter l'extrait.

Comme Jean-Paul Déramble, Eric Fiat affirme que l'essentiel ne tient pas tant à la configuration spacio-temporelle qu’au tissu sensitivo-affectif qui est proposé à la personne très agée.
A quoi bon en effet un établissement "clean", "flambant neuf" si personne n’y vient, si dans une chambre, aux normes, on ne peut plus y raconter sa vie. « Le pain appelle le co-pain » clame Eric Fiat, évoquant Jean-Pierre Coffe.
De même qu’une définition du beau peut être "C’est ce devant quoi je voudrais être deux !"
Ce qu’il faut qui donne lecture des mots du poête « J’appelle on vient … Les bonnes sœurs ne sont pas vraiment bonnes, elle remplacent la bonté par un mécanisme de bonté … ».
Mécanisation du soin. … qui entraine la personne à perdre le gout de vivre … poursuit Eric Fiat car, faisant ici écho aux propos de la Norvégienne Reidun Forde, , « Le désir d’être aimé est chez l’homme beaucoup plus fort que le désir d’être. », dit-il encore.

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