Aller sur la navigation Aller au contenu principal Aller sur la recherche

Entretien avec Luc Broussy, conseiller général du Val d'Oise et auteur d'un des rapports sur l'adaptation de la société au vieillissement

Auteur Rédaction

Temps de lecture 7 min

Date de publication 10/03/2013

0 commentaires

Sortir les personnes âgées du ghetto

Luc Broussy - conférence silver economyVous avez été chargé d’un rapport sur l’adaptation de la société française au vieillissement. Pourquoi vous ?
Luc Broussy : Il faut remonter à la genèse de la campagne présidentielle où j’étais en charge des personnes âgées dans l’équipe de campagne de François Hollande après avoir été son délégué national sur ce thème au PS entre 2000 et 2008. Avec Marisol Touraine, nous avons proposé à l’époque au candidat une loi qui ne porte pas uniquement sur la dépendance mais sur l’ensemble des conditions permettant à la société française de s’adapter au vieillissement de sa population. C’est donc logiquement que l’on m’a demandé ensuite de formuler des propositions.
Quelle méthode avez-vous utilisé ?
LB. J’ai beaucoup vu et beaucoup lu pour faire la synthèse des propositions intéressantes formulées dans différents rapports depuis quelques années. Ces propositions concernent à la fois le logement, le quartier, la ville, l’emploi, les transports, les gerontechnologies, la politique familiale, la gouvernance....
La question du domicile a du surgir au premier rang !
LB. Il n’y a pas de politique de maintien à domicile possible si on ne traite pas la question de l’adaptation du logement. Il ne sert à rien de parler de « maintien à domicile » si la personne vit à 20mn en voiture de la première boulangerie ou si les transports collectifs sont inexistants. D’où ma nécessité d’un diagnostic Habitat-Mobilité dès 75 ans qui permette à chacun d’anticiper l’avenir. Des caisses de retraites proposent déjà des diagnostics de ce type. Je propose donc de les généraliser.
Mais que proposez-vous pour l’adaptation du logement lui-même ?
LB. En France, 75% des personnes âgées sont propriétaires de leur logement. Il faut donc maintenir à la fois les 15.000 logements par an adaptés grâce aux financements de l’ANAH et transférer aux enfants la capacité de bénéficier du crédit d’impôt de 25% s’ils assument eux-mêmes les travaux d’adaptation chez leurs parents. Dans le logement social, où le vieillissement des locataires est réel, il faut obliger les bailleurs sociaux à intégrer la problématique de l’adaptation dans leur politique.
Et les nouveaux logements ?
LB. Il faut évidemment agir également sur le flux de nouvelles constructions. Je propose que les documents d’urbanisme (PLU, PLH) prévoient des zones adaptées au vieillissement et qu’un quota de 20% de logements adaptés s’applique dans ces zones. Le département du Rhone a lancé une opération de ce type. Je propose de la généraliser. Sur 300 000 logements nouveaux par an, on pourrait créer 30.000 logements adaptés ainsi. Ce vaste chantier de l’adaptation aura par ailleurs des conséquences bénéfiques sur l’activité du bâtiment et sur l’emploi.
Le logement d’accord, mais la sociabilité c’est une composante clé du maintien à domicile. Que proposez vous sur ce sujet ?
LB. C’est au niveau du quartier que le maintien des liens sociaux doit se faire. Les géographes ont montré qu’une ville une personne âgée se déployait dans un rayon de 500m. C’est là que se joue le défi de la lutte contre l’isolement social notamment grâce à la proximité des commerces et des services publics.
C’est aussi au niveau du quartier que se déploieront les offres de logements intermédiaires entre le domicile et l’Ehpad. Je propose également la création de « réisdences-plateformes de quartier » qui regrouperaient logements, animation, restauration, services d’aide à domicile, accueil de jour, SSIAD, ateliers-mémoires… Ces plateformes de quartiers ne peuvent pas constituer un ensemble standard que l’on duplique sur tout le territoire mais doivent s’adapter aux besoins précis recensés dans une ville ou un quartier. C’est pourquoi je propose que ces projets ne passent pas par le filtre d’appels à projets formatés et qu’ils puissent bénéficier d’une enveloppe globale de financement qui ne soit pas la simple superposition des enveloppes SSIAD, accueil de jour etc... Il faut quasiment créer une nouvelle catégorie d’établissement dans la loi 2002-02.
Ca ressemble à priori à un « relookage » du foyer logement !
LB : Il faut en tout cas en finir avec les foyers logements des années 60. Je propose que les conseils généraux recensent l’ensemble des logements-foyers entre ceux qui sont adaptés, ceux qui peuvent évoluer et ceux qui devront fermer ou s’orienter vers une autre destination. En revanche, je pense que l’avenir appartient aux plates-formes de quartier qui mêle plusieurs types de services mais aussi aux résidences seniors situées en centre-ville.

Que pensez vous du concept « ville amie des aînés » que le Centre d’analyse stratégique a récemment promu ?
LB. C’est l’OMS qui a inventé ce concept en 2006. Je pense que ce label doit désormais se substituer au label « Bien vieillir » et devenir rapidement une référence pour toutes les communes. Beaucoup de villes s’enorgueillissent de détenir le label « villes fleuries ». Ce qu’on fait pour les fleurs, on peut le faire pour les personnes âgées, non ? Le vieillissement doit être intégré au Plan local de l’habitat (PLH) et au plan local d’urbanisme (PLU). Ces documents communaux ou intercommunaux doivent avoir la possibilité de lier toutes les questions liées au vieillissement : habitat, transport, commerce, lieux culturels… etc. C’est ainsi que les élus se saisiront du dossier vieillissement et que les communes entreront dans la course à la labellisation « ville amie des aînés ».
Y aura-t-il enfin un guichet unique ou les familles pourront s’adresser dès qu’elles butent sur un problème de perte d’autonomie d’un proche ?
LB. Il y a deux sujets à résoudre pour les familles. Le premier c’est évidemment le financement. J’apporte ma pierre à ce débat, qui n’était pas au centre de ma mission, en proposant la suppression de l’obligation alimentaire pour l’aide sociale à l’hébergement et la revalorisation des allocations logement des résidents en Ehpad.
Mais le second sujet est tout aussi important : c’est le caractère anxiogène d’une information dispersée et peu accessible. Je propose l’instauration de guichets uniques d’information, de conseil et d’orientation à travers la transformation des MDPH en Maisons Départementales de l’Autonomie.
Des rumeurs ont couru sur certaines de vos propositions concernant la conduite automobile par les personnes âgées. Qu’en est-il exactement ?
LB. Comme les personnes âgées veulent vieillir le plus longtemps chez elles, elles veulent aussi pouvoir se mouvoir de manière autonome le plus longtemps possible. On ne peut donc pas occulter le débat sur le permis de conduire. Demain, de très nombreuses personnes âgées vieilliront en milieu péri-urbain rendant plus encore indispensable la voiture comme instrument de mobilité. Pour ma part, je suis radicalement opposé au caractère obligatoire d’un examen médical à 70 ans comme l’avance actuellement une proposition de loi sénatoriale. Je pense qu’il faut trouver une série de pistes permettant d’allier liberté de se mouvoir et sécurité pour tous. Pourquoi ne pas étudier la mise en place d’un permis partiel (conduire oui mais pas la nuit, en ville mais pas sur l’autoroute...). Au Japon, un autocollant est apposé derrière les voitures des conducteurs très âgés : je pense qu’une telle idée ne stigmatise pas mais invite au contraire au respect et à la prévention.
Il y a des départements riches et des départements pauvres. L’adaptation au vieillissement ne risque-t-il pas de générer des inégalités en termes de géographie ?
LB. Les territoires sont déjà inégaux face au vieillissement : 13% de seniors en Seine St Denis et 31% dans la Creuse aujourd’hui. Et ces écarts ne cesseront de croître. Certains départements auront une forte proposition de seniors et devront orienter leur économie locale en conséquence. Une région comme le Limousin par exemple oriente déjà son économie vers la création de services pour les aînés. D’autres départements comme le Nord ou les Alpes Maritimes connaîtront une forte croissance de personnes âgées mais demeureront des départements plutôt jeunes et dynamiques. Il va de soi que face à cette marquetterie de situations, la solidarité imposera une forte péréquation financière entre les territoires.
Des réformes de structure sont à prévoir sur le moyen-long terme pour un certain nombre de services nationaux. La SNCF par exemple a conçu son réseau dans les années 1920. Résultat, les lignes ferroviaires sont denses dans des régions qui vont se dépeupler alors qu’elles sont plus rares dans les régions où demain les populations vont croître et vieillir comme PACA ou le Languedoc Roussillon.
Un rapport sur l’adaptation de la société vieillissement ne saurait faire l’impasse sur les gérontechnologies. Que proposez vous à ce sujet ?
LB. J’ai fait le constat que la France avait en ce domaine de nombreux atouts insuffisamment exploités pour l’heure. L’Etat doit donner une impulsion forte en créant une Agence Nationale des Technologies de l’Autonomie qui rendre plus lisible et visible le tissu de chercheurs et d’industriels qui oeuvrent dans ce domaine. Le Centre national de référence- Santé Domicile (CNR) doit être à la base de cette future Agence qui devra faire le lien entre la recherche, les pôles de compétitivité et les PME.

Télécharger les trois rapports Aquino, Broussy et Pinville sur l'adaptation de la société au vieillissement


Retrouvez l'intervention de Luc Broussy lors de la conférence Silver Economy du 24 avril 2013 :

Partager cet article

Sur le même sujet