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Comprendre les fragilités

E.Macron annonce un projet de loi en avril pour une « aide à mourir » sous « conditions strictes »

Auteur Annie De Vivie

Temps de lecture 6 min

Date de publication 11/03/2024

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Ce 10 décembre dans un entretien aux journaux La Croix et Libération, le président de la République a annoncé qu’un projet de loi pour une « aide à mourir » sous « conditions strictes » sera présenté en Conseil des ministres en avril. Ce lundi 11 mars, le Premier ministre Gabriel Attal a précisé que le texte sera « examiné en séance publique à l’Assemblée nationale à compter du 27 mai ». La Société française des soins palliatifs a partagé « la consternation et la colère des soignants » face à ce calendrier au pas de charge. Quant à L'Eclaireuse Marie de Hennezel, son livre d'entretiens avec Olivier Le Naire fait écho à Sept vieilles dames et la mort, le livre du docteur Véronique Fournier, du Cnav, favorable à un « faire mourir » comme ultime acte de soin.

Pas d’euthanasie mais ouvrir la possibilité de demander une aide à mourir sous conditions strictes

Emmanuel Macron précise dans les entretiens qu’il ne s’agissait pas d’euthanasie : « mettre fin aux jours de quelqu’un, avec ou même sans son consentement » selon ses termes, ni d’un droit au suicide assisté qui correspond, selon lui, « au choix libre et inconditionnel d’une personne de disposer de sa vie ».

Dans un tweet ce 11 mars, le président de la République précise les conditions strictes retenues pour demander une aide active à mourir :
- être majeur ;
- être capable d’un discernement plein et entier. Sont exclus de cette aide les patients atteints de maladies psychiatriques ou de maladies neurodégénératives qui altèrent le discernement, comme Alzheimer ;
- souffrir d’une maladie incurable, avec un pronostic vital engagé à court ou moyen terme et des souffrances réfractaires.

1 milliard d’euros de plus aux soins d’accompagnements

Dans le même tweet, le président de la République annonce que le projet de loi sera composé d’une première partie sur les soins d’accompagnement, d’une deuxième sur le droit des patients et des aidants et d’une troisième sur l’aide à mourir.

Avec un milliard d'euros de plus à « une stratégie décennale sur les soins palliatifs et l'accompagnement de la douleur », sachant que notre pays mobilise aujourd'hui 1,6 milliard d’euros pour les soins d’accompagnement. Il s'agira de « doter d’une unité de soins palliatifs les 21 départements qui en sont encore dépourvus ».

Consternation et colère des soignants selon la Sfap

La société savante des soins palliatif (Sfap) dénonce « le choix de la brutalité en ignorant la parole des soignants, qui n’ont pas été consultés depuis septembre dernier ».

Ils dénoncent « un calendrier indécent » avec « la transmission d’un texte au Conseil d’État « d’ici huit à dix jours » et un examen en mai », sachant que « ceux qui devront appliquer cette loi n’ont jamais été associés à sa rédaction et n’ont pas été consultés sur un texte à l’évidence déjà rédigé ».

Ces professionnels s'insurgent contre « un mépris du travail des soignants », « un modèle ultra-permissif » (le dispositif décrit emprunte à toutes les dérives constatées à travers le monde. Aucun pays n’envisage l’administration de la substance létale par un proche).

Ils estiment que les annonces sont « dérisoires sur l’accompagnement de la fin de vie », avec une augmentation du budget annuel des soins palliatifs de 6 %, alors même que 50 % des patients n’ont pas accès à un accompagnement adapté, soit 500 personnes par jour : une personne sur deux.

Deux jours sont prévus pour « tester la solidité de la détermination », la réponse devant intervenir dans un « délai de quinze jours maximum ». Qui pourra être en mesure d’estimer le « discernement plein et entier » requis pour accéder à la mort provoquée ? s'interroge la Sfap.

Les soignants sont vent debout contre le « manque de considération pour les personnes vulnérables et âgées, qui seraient les premières concernées par ce dispositif, et alors que la loi Grand âge est abandonnée. L’impact de la mort provoquée sur les proches et sur la société n’est pas non plus évoqué, tout comme le sentiment de culpabilité d'un proche ou d'un soignant qui aurait provoqué cette mort ».

Le président retient le terme d’ « aide à mourir », en n’assumant pas que les options retenues relèvent de l’euthanasie et du suicide assisté. Ce qui revient à une confusion lexicale regrettable, selon la Sfap.

L’éclaireuse Marie de Hennezel, 77 ans, partage son expérience et ses conseils dans un livre d’entretiens avec Olivier Le Naire

L'autrice de La mort intime préfacée par François Miterrand, de deux rapports sur les retards français en termes de culture et de soin palliatifs, continue d'enseigner auprès des plus âgés, des professionnels de terrain et aussi de militer même en tant que lanceuse d'alerte sur la situation du vieillir, du mourir en France. (cf. son livre coup de poing L'adieu interdit pendant la crise Covid).

Olivier Le Naire met en lumière le parcours de Marie de Hennezel qu'il qualifie volontiers de « chamane » suivant son intuition, vivant avec l'invisible, secouant les tabous, sans s'enfermer dans aucun dogme ni chapelle.

Elle nous invite à nous ouvrir aux autres, aux approches, aux médecines, aux spiritualités, à la sexualité jusqu'au bout, à la mort encore trop tue.

Avec douceur et détermination, Marie de Hennezel s'invite et nous invite à un travail : celui de regarder, dialoguer, voire affronter la grande vieillesse… qui est à vivre si on en a la chance, comme en rêvait Christiane Singer, jusqu'à mourir vivant, comme une ultime tentative de se mettre au monde.

Au-delà de ses expériences, elle partage ses convictions comme désigner sa personne de confiance (pas un de ses enfants, p.128), comme envisager l'anorexie finale et bien avant de s'investir dans un béguinage solidaire (cf. le livre Vieillir solidaire avec Tristan Robet).

Elle invite ses pairs, les boomers, à s'investir dans leur fin de vie, notamment au Cnav (Collectif national autoproclamé de la vieillesse), qui affirme « Rien pour les vieux sans les vieux », monté par Francis Carrier, Nicolas Foureur, Eric Favereau et Véronique Fournier.

Sept vieilles dames et la mort du docteur Véronique Fournier

Elle y pense à la mort, à sa mort, Véronique Fournier, 69 ans, cardiologue, médecin de santé publique, fondatrice du Centre d'éthique clinique de l'AP-HP, présidente du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie de 2016 à 2020.

A initiative du Cnav, elle raconte dans ce livre six fins de vie, mois par mois, puis jour par jour, heure par heure.

Des morts toutes différentes, singulières et éclairantes sur les manques cruels en France aujourd'hui : manque d'accompagnements des douleurs, des souffrances, manque de présences professionnelles, rassurantes, sécurisantes dans les derniers instants.

Citant volontiers Marie de Hennezel autour de l'anorexie finale (page 241), Véronique Fournier estime néanmoins que la culture palliative doit se renforcer d'une obligation aux soignants « que les morts se passent bien » avec des échanges réfléchis, des décisions discutées, en conscience.

« Et si le faire mourir pouvait être un ultime acte de soin ? »

On le voit à travers les ouvrages de ces deux femmes engagées, pragmatiques : le débat sur la toute fin de vie met en lumière les manques, les injonctions, le pouvoir des uns sur les autres, bref la difficulté à bien vieillir et bien mourir en France aujourd'hui… et demain.

L'éclaireuse, entretiens avec Marie de Hennezel
Olivier le Naire
Editions Actes Sud
192 pages - 19 euros

Sept vieilles dames et la mort
Et si faire mourir pouvait être un ultime acte de soin ?
Véronique Fournier
Editions Michalon
352 pages - 22 euros

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