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Trouver son lieu de vie

Respect des droits des résidents : les Ehpad parisiens à la loupe

Auteur Raphaëlle Murignieux

Temps de lecture 6 min

Date de publication 06/03/2023

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Face à la « vague d’indignation et d’inquiétude » suscitée par le scandale Orpea, la maire de Paris Anne Hidalgo a confié au conseiller d’Etat Jean-Marie Delarue la mission d’évaluer l’accès aux droits fondamentaux des résidents des 75 Ehpad parisiens. L’ancien contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui souhaitait en 2012 pouvoir contrôler les Ehpad au même titre que les prisons, a livré ses conclusions en février. Verdict : beaucoup d’efforts restent à faire.

Quels sont les droits fondamentaux en Ehpad ? Les mêmes que partout ailleurs, répond Jean-Marie Delarue : « on doit toutefois retenir comme principe que le document par lequel chaque résident, à son arrivée dans l’établissement, signe le contrat de séjour mentionné à l’article L. 311-14-1 du code de l’action sociale et des familles, ne saurait aucunement signifier (ou se traduire par) quelque renoncement que ce soit à l’effectivité de ses droits fondamentaux ».

Précisément, comme tout citoyen, les résidents d’Ehpad doivent jouir du :

  • droit à la vie (article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, article 6 du Pacte des Nations Unies pour les droits civils et politiques, article 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne) : l’établissement doit leur fournir un environnement adapté au maintien de leur santé ; des soins adaptés à leur état de santé et leur autonomie ; et les transférer dans un lieu plus approprié – l’hôpital notamment – si nécessaire.
  • droit de ne pas subir de traitements cruels, inhumains ou dégradants : maltraitance, mais aussi non-respect de la vie privée par exemple.
  • droit de circuler librement, la fameuse liberté d’aller et venir bien souvent mise à mal pour des raisons de sécurité, comme l’a montré la crise sanitaire, mais pas seulement.
  • droit à la liberté d’expression, qui peut être empêchée, par exemple, par l’attribution de places fixes à table, sans laisser le choix aux résidents. Un procédé rencontré très fréquemment en établissement. D’après les observations du conseiller d’Etat, qui a visité une vingtaine d’Ehpad de la capitale, les conseils de la vie sociale ne sont pas non plus suffisants pour permettre la participation réelle des résidents.

Pour améliorer l’exercice effectif de ces droits, Jean-Marie Delarue formule 40 propositions, réparties en six grandes thématiques :

Mieux prendre soin
1 – Un médecin à temps plein, jouant le rôle de médecin traitant dans chaque établissement ; un rôle de coordonnateur assuré aussi par l’infirmier cadre de santé, aux tâches administratives réduites par un emploi de secrétaire médical fortement qualifié ;
2 – Intégrer l’établissement dans un réseau de soins ;
3 – Faire venir des spécialistes en consultation sur place ;
4 – Aménager les locaux correspondants.

Mieux partager le travail indispensable
5 – Savoir mobiliser les proches pour des tâches telles que sorties, accompagnement, transport, activités ; ils ne sauraient se substituer à aucun professionnel (et réciproquement) ;
6 – Insérer les activités de l’établissement dans un réseau de proximité culturel et récréatif (qui ne manque pas à Paris) ;
7 – Renforcer les liens avec les mairies d’arrondissement ;
8 – Encourager les conventions, parrainages... (intergénérationnels ou non) avec des personnes morales publiques ou privées ;
9 – Réfléchir aux impossibilités et aux possibilités de la sous-traitance ;
10 – Développer les échanges entre pairs de tous les professionnels d’établissement ;
11 – Les professionnels (aides-soignantes, auxiliaires de vie) doivent être reconnus prioritaires dans les attributions des logements sociaux de la Ville de Paris.

Développer le rôle des résidents dans les choix de la vie collective
12 – Spectre à accroître sensiblement de décisions associant les usagers ;
13 – Conseil de la vie sociale : y intégrer des représentants d’associations dont l’objet social est la défense des intérêts des personnes âgées ;
14 – Conseil de la vie sociale : décisionnaire dans certains domaines (d’autres étant nécessairement exclus) ;
15 – Echanges informels collectifs réguliers avec les familles ;
16 – Développer systématiquement le plus précocement possible l’information des proches sur ce que peut et ne peut pas faire l’Ehpad ;
17 – Développer la possibilité de courts séjours (quota de places à cet effet).

Mieux utiliser les nouvelles technologies
18 – La vidéoprotection dans les locaux (surtout dans les chambres) doit être absolument proscrite ; le bracelet électronique ou autres instruments connectés doit rester d’usage exceptionnel et après avis médical ;
19 – Développer largement les relations par visio-conférence avec les proches, y compris d’Ehpad à Ehpad ;
20 – A cet effet, mettre en place des équipements mobiles et dédier en même temps une salle à cet effet ;
21 – Développer (par les animations) l’accès aux connaissances disponibles sur le « net » ;
22 – Former les professionnels à cette fin ;
23 – Diffuser un catalogue national des ressources disponibles sur le « net » ;
24 – Offrir des formations au numérique pour les résidents ;
25 – Limiter fermement les visio-conférences médecin – patient aux seuls échanges dans lesquels diagnostic et modalités thérapeutiques ne font aucun doute.

Ouvrir davantage les perspectives de vie en Ehpad
26 – Elargir les thèmes proposant des connaissances et facilitant la réflexion (du type « café – philo ») ;
27 – Larges possibilités à Paris, du fait de la richesse intellectuelle de la capitale.

Mieux réguler les conflits
29 – Le meilleur cadre à cette fin est l’établissement ;
30 – Existence généralisée d’un responsable « éthique » et d’un responsable « qualité » ;
31 – Direction, médecin et infirmier coordonnateur cadre de santé doivent être accessibles (exigences de l’architecture, de l’emploi du temps et des moyens de communication à cette fin) ;
32 – Possibilité d’associer à des médiations locales les représentants d’associations siégeant au conseil de la vie sociale (cf. 13 ci-dessus) ;
33 – Formuler des réponses claires et précises (éventuellement négatives) seulement après brève enquête contradictoire si un agent est mis en cause ;
34 – Formation à la conciliation et à la médiation (cadres et associatifs) ;
35 – Utiliser davantage et lieux les déclarations d’évènements indésirables graves (EIG)
qui, bien exploités par les partenaires, sont un réel moyen d’amélioration ;
36 – S’efforcer de canaliser les familles quérulentes dans une forme d’expression
collective ;
37 – Voies de recours internes (dans l’organisation à laquelle l’état appartient) : seulement en cas d’échec dans l’établissement et si les causes en sont claires ;
38 – Voies de recours externe (hors organisation) : seulement dans des circonstances exceptionnelles ; il est donc inutile de les multiplier ;
39 – Intérêt toutefois du maintien d’une ligne téléphonique d’appel en cas de maltraitance ;
40 – Le juge, hors cas de crime ou délit, est la pire des solutions ; l’éviter doit être recommandé sauf à faire juger des questions de principe

« Mais, quelle que soit l’opinion qu’on puisse se faire des établissements, rien de sérieux ne saurait y être fait si un effort constant, exemplaire et suivi d’écoute des personnes âgées n’est pas constamment à l’œuvre », conclut Jean-Marie Delarue.

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