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Maltraitance des personnes âgées et responsabilité - Etat des lieux

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Etat des lieux

Une large médiatisation de la prise en charge défectueuse de la personne âgée, des livres soulignant certains dysfonctionnements ont actualisé le phénomène de la maltraitance des personnes âgées. Il est donc intéressant de faire le point sur cette notion, d’en préciser les contours juridiques et la façon dont le droit répressif l’appréhende.

Qu’est-ce que la maltraitance ?

Le petit Robert la définit comme "l’action de traiter avec brutalité ". Il fait ainsi référence aux violences physiques infligées à la personne âgée. La définition donnée par ce dictionnaire est cependant plus large, puisqu’il indique que la maltraitance c’est aussi "traiter avec rigueur, inhumanité, sévèrement en paroles une personne à qui l’on parle ou dont on parle ".

Maltraiter comporte donc deux aspects : les violences physiques, mais aussi psychiques infligées à la personne âgée.

L’analyse faite par des associations qui se préoccupent de ce problème corrobore cette définition. Selon la Fédération nationale de lutte conter la maltraitance, 3977, en 2018, étaient regroupés soue le terme des situations très diverses : dans 28 % des cas, des injures ou mesures vexatoires (maltraitance psychologique) ; dans 25 % des négligences de tous ordres ; dans 17 % des maltraitances physiques (contention, coups, chutes provoquées...) et dans 15 % des vols ou des détournements de biens (maltraitances financières).

Qui est à l’origine de la maltraitance ?

Contrairement à une certaine idée, ce ne sont pas seulement les institutions qui constituent un creuset d’expression de ce phénomène, mais aussi la famille. En 2018 toujours, les trois quarts des signalements au 3977 concernaient des personnes vivant à domicile. Il est en effet plus facile de se montrer maltraitant dans le huis-clos familial que dans un lieu de vie collectif.

Cependant, les confinements des Ehpad liés au covid-19 puis le scandale Orpea de 2022 ont libéré la parole et favorisé les prises de conscience. Et depuis 2021, les signalements concernant des résidents d'Ehpad explosent.

Comment le droit appréhende-t-il ce phénomène ?

La traduction juridique de la maltraitance est plus souvent pénale que civile. La voie pénale permet de dire les souffrances vécues, de constater les infractions provoquées par les mauvais traitements subis, de prononcer une peine contre celle, celui ou ceux qui sont reconnus coupables. Le procès pénal permet de mesurer l’écart entre la norme et la déviance, de poser la règle de droit et d’en tirer les conséquences punitives. Cela participe à la reconnaissance de la personne âgée en tant que sujet à part entière, quel que soit son degré de dépendance physique et/ou psychique, et son aptitude à faire respecter ses droits. Rien de tout cela n’existe en matière civile, puisque le mode de réparation réside dans le versement d’une somme d’argent, appelée Dommages et intérêts.

Les atteintes à l’intégrité physique et/​ou psychique de la personne âgée

Le droit pénal sous-tend la responsabilité pénale à la réunion du triptyque suivant : une faute, un dommage corporel subi par la victime et un lien de causalité certain entre la faute et le dommage. Alors que le code civil, qui fonde la demande de réparation indemnitaire civile, énonce un principe général de responsabilité, le code pénal énumère limitativement les fautes incriminables.

Selon le principe "Pas d’infractions sans texte", le droit pénal admet la réalité des infractions à condition qu’elles soient recensées dans le code pénal. A contrario, s’il n’existe pas de texte, il ne peut pas y avoir d’infraction.

Illustrant ces principes, la maltraitance est appréhendée sous différentes incriminations, qui supposent nécessairement que la faute a causé à la personne un dommage, matérialisé par une atteinte à son intégrité. Cette atteinte peut être corporelle ou psychique :

  • Lorsqu’elle est corporelle, elle s’illustre par la production de brutalités telles que coups et gifles, mais peut également se manifester par l’absence de prise en charge de la dégradation de l’état de santé : escarres non soignées par exemple.
  • Psychique, il s’agit souvent de rejet, de coupures dans le lien social ( familles qui ne visitent pas ou peu la personne âgée), humiliations diverses (négation de la parole de la personne ou infantilisation).

L’atteinte psychique peut aussi se traduire par des pressions psychologiques pour amener la personne âgée à donner de l’argent.

Les peines encourues

La loi pénale distingue selon que les ont ou n’ont pas entraîné une incapacité totale de travail (ITT). A noter : cette notion s’applique aux personnes âgées puisqu’elle définit aussi l’état d’une personne qui ne peut plus vaquer à ses occupations habituelles et ne désigne pas seulement celle qui ne peut plus exercer son activité professionnelle.

Atteinte à l’intégrité avec ITT :

  • Si l’ITT est inférieure ou égale à 3 mois : les personnes physiques reconnues coupables de cette contravention encourent une peine d’amende de 5 ème classe (1500 euros, augmentée à 3000 euros en cas de récidive) ainsi qu’une des peines complémentaires prévues à l’article R 625-4 du code pénal. La notion de manquement délibéré, introduite par le nouveau code pénal en 1993, occupe une place intermédiaire entre infraction intentionnelle et infraction non intentionnelle. Elle résulte d’un acte positif ou d’une omission accomplis consciemment et volontairement, mais sans intention de porter atteinte à l’intégrité physique d’autrui. Lorsque, comme précédemment, cette ITT est la conséquence d’un "manquement délibéré" à une obligation de prudence ou de sécurité, l’infraction devient un délit que l’article 222-20 punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Outre les peines complémentaires précitées, une mesure d’affichage ou de diffusion de la condamnation peut être ordonnée, ainsi qu’en dispose l’article 222-46 du code. Les personnes morales coupables encourent une peine d’amende du quintuple de celle infligée aux personnes physiques.
  • Si l’ITT est supérieure à 3 mois : les personnes physiques encourent deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende, peine élevée à trois ans et 45 000 euros en cas de manquement délibéré à une obligation de prudence ou de sécurité. Il faut noter que le Nouveau Code Pénal de 1993 aggrave sensiblement les peines puisque l’ancien (ancien article 320) réprimait cette infraction par un an d’emprisonnement et 20 000 Francs d’amende (environ 3000 euros). Les mauvais traitements infligés à la personne âgée peuvent, compte tenu de sa particulière vulnérabilité, entraîner son décès. On parle alors d’homicide.

Atteinte à l’intégrité physique ou psychique sans ITT :

Dans ce cas, une peine d’amende de 150 euros sanctionne la contravention commise (qualifiée de seconde classe). Une peine complémentaire de confiscation de la chose qui a servi à commettre l’infraction peut être ordonnée. Cependant, s’agissant de personnes âgées, l’infraction d’atteinte à l’intégrité a souvent pour origine un manquement délibéré par rapport à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements. En ce cas, la peine d’amende de 5e classe s’élève à 1500 euros au plus et 3000 euros en cas de récidive. Une peine complémentaire de confiscation du permis de conduire peut être prononcée. Si c’est la personne morale qui est déclarée responsable (établissement ou service d’aide ou infirmiers à domicile par exemple), elle encourt une amende qui s’élèvera au quintuple de celle encourue par les personnes physiques, portée au décuple en cas de récidive.

L’homicide involontaire

Cette infraction est plus grave que les précédentes, et donc pénalement plus sévèrement réprimée, puisqu'il y a décès de la personne.

Les personnes physiques coupables de ce délit encourent une peine d’emprisonnement de trois ans, plus 45 000 euros d’amende, portées à cinq et 75 000 euros s’il y a manquement délibéré.

Dans ce dernier cas, les dispositions de l’article 131-39 du code pénal permettent la fermeture de l’établissement ou de la structure à l’origine de l’infraction, soit pour une durée de cinq ans, soit définitivement.

Le juge répressif a, comme pour l’individualisation de la peine d’emprisonnement et d’amende, un pouvoir d’appréciation.

Il va donc disposer de la possibilité de personnaliser la sanction en se fondant sur les circonstances de l’infraction et la personnalité de l’auteur des faits.

Cela signifie que c’est en fonction de la gravité des fautes reprochées que les sanctions seront déterminées.

Signalons enfin que, depuis une loi du 11 juillet 1975, le tribunal peut, après avoir déclaré le prévenu coupable, le dispenser de peine (article 132-28 du code pénal).

Ceci est notamment possible lorsqu’il apparaît que le reclassement du prévenu est acquis, que le dommage est réparé et que le trouble résultant de l’infraction a cessé (article 132-59).

Bien évidemment, la voie pénale n’est pas exclusive de la possibilité de poursuivre les auteurs des faits, d’un point de vue disciplinaire.

Les infirmiers, les médecins et d’autres professionnels de santé ont des décrets de compétence ou un code de déontologie, sur la base duquel un avertissement, blâme, voire une interdiction d’exercice peut être prononcée.

La maltraitance n’est donc pas un phénomène en voie de disparition. Pour autant, les professionnels comme les familles s’informent de plus en plus, les médias et les associations les relaient dans une aide destinée à la faire régresser.

Ce mouvement d’intérêt collectif sera peut-être garant de la considération qu’il convient de manifester à l’endroit de personnes qui constituent nos racines.

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