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Sexualité & intimité

Sexualité en Ehpad, des limites difficiles à dépasser

Temps de lecture 4 min

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Intimité, vie affective et sexuelle ont bien du mal à se faire une place dans les Ehpad, et seulement 8% des résidents déclarent avoir une sexualité au sein de leur maison de retraite. Quelles sont les barrières et comment les lever ?

« Il existe plusieurs types de freins à la vie sexuelle des résidents en ehpad : ils peuvent être générés par l’équipe professionnelle (quand elle n’est pas réceptive à ce que cette vie affective et sexuelle s’exprime), par les familles (qui peuvent refuser que leurs parents nouent de nouveaux liens) et par les personnes âgées elles-mêmes (qui s’autocensurent) » énumère Marick Fèvre, responsable Promotion de la santé à Radiance Groupe Humanis, et coauteur de l’ouvrage « Amours de vieillesse », aux Presses de l’EHESP*.


Du côté des professionnels…
« Les Ehpad en France sont conçus comme des hôpitaux, plutôt que comme des lieux de résidence où se pratiquent des soins, et on a du mal à intégrer le fait que les chambres constituent le domicile des personnes » présente le Pr Gérard Ribes, psychiatre et sexologue à Lyon. D’où une grande difficulté à préserver l’intimité en Ehpad : le personnel de l’établissement entre dans la chambre d’un résident entre 20 et 25 fois par jour – bien souvent sans frapper.
« La posture de la direction est un élément majeur : si elle n’est pas favorable, tout l’ambiance en est affectée » souligne Marick Fèvre. Alors qu’à l’inverse, quand le résident sait qu’il n’y a pas de tabou, il vit sa vie sexuelle plus librement.
C’est pourquoi il importe que la représentabilité de la sexualité soit abordée au sein de l’équipe, lors de formations, ou simplement de discussions plus ou moins formelles.



… des familles…
« Les familles sont les censeurs les plus importants de la sexualité de leurs parents » souligne le Pr Ribes. « Il est en effet parfois compliqué de voir un parent refaire sa vie, et une réelle souffrance peut exister. On parle aussi de la peur qu’ont certains de perdre une part d’héritage au profit d’un nouveau compagnon ou d’une nouvelle compagne, mais cette crainte est en fait assez rare. »
Les barrières familiales sont difficiles à lever, alors que le droit est du côté de la personne âgée, quel que soit son état cognitif, et même en cas de tutelle, laquelle ne peut s’exercer sur la vie personnelle. « Les professionnels au sein de l’ehpad sont là pour protéger le résident et il n’est pas question de prévenir la famille en cas de relation, même extra-conjugale » prévient Marick Fèvre. « L’adultère n’est pas un délit et il n’existe pas de recel d’adultère. »

… et des personnes âgées elles-mêmes
La moyenne d’âge aujourd’hui en ehpad est située entre 83 et 84 ans. La génération actuelle des résidents a connu sa jeunesse sexuelle avant mai 68, ce qui influe sur leur vie sexuelle d’aujourd’hui. « Il faut replacer les choses dans leur contexte, et ne pas oublier que pour les résidents d’aujourd’hui, leur jeunesse s’est faite largement dans les écoles non mixtes, la peur du ‘qu’en dira-t-on’ ; et avec l’idée qu’une femme ‘honnête’ n’avait pas de plaisir, et que l’éducation sexuelle des jeunes hommes se faisaient auprès des prostituées » rappelle Marick Fèvre. Une autocensure règne donc encore largement – qui n’a pas à être ‘résolue’ par l’Ehpad. Mais les babyboomers qui vont arriver dans les prochaines années n’auront pas eu la même éducation – et il faut s’y préparer. Il faut aussi se faire à l’idée que les questions autour des infections sexuellement transmissibles, de l’utilisation de sextoys et de l’homosexualité vont davantage se poser avec les années.

Inquiétudes à propos de la démence et du consentement
L’une des premières questions qui se pose, aussi bien du côté des professionnels que des familles, est celle du consentement que peut apporter une personne démente à des relations sexuelles. Comment être certain qu’aucun drame ne se joue ? « Les professionnels sont de mieux en mieux formés et connaissent bien leurs résidents » rassure Marick Fèvre. « Ils peuvent s’assurer autant que possible de l’assentiment de la personne, et repérer un changement de comportement inquiétant. »
Mais ce n’est de toute façon pas parce que l’on est malade d’Alzheimer que l’on n’a pas besoin de caresses, de contact physique. « Ce sont les contacts qui nous font humains » insiste le Pr Ribes. « Avec l’âge, et encore plus en cas de démence, les personnes ne sont plus touchées, ou seulement comme des malades. Il y a une forme de déprivation sensorielle qui peut être très douloureuse. »

Savoir réagir aux comportements problématiques
La vie sexuelle en Ehpad ne se résume pas à des couples qui se tiennent la main, ni même à des résidents qui ont une activité sexuelle dans leur chambre, pas toujours avec la même personne d’ailleurs ! Il y a par exemple parfois des situations d’exhibition physique ou verbale, qui peuvent mettre les professionnels en difficulté. « Cela ne fait pas des résidents des pervers, mais les professionnels ne doivent surtout pas rester seuls avec cela, ils doivent en parler – aussi pour confronter leurs points de vue et décider quelle attitude adopter » conseille Marick Fèvre. « Les questions sur la sexualité interrogent la nôtre, posent des questions sur notre propre mort, notre propre vieillesse, ce que l’on ne veut pas devenir. Il importe de les partager. Et les professionnels doivent aussi se dire qu’ils ne sont pas là pour tout accepter. »


* Amours de vieillesse, sous la direction de Marick Fèvre et Niclas Riguidel, presses de l’EHESP, 14 euros. Cet ouvrage présente une recherche pluridisciplinaire (gérontologue, juriste, directeur d’Ehpad, psychiatre, philosophe…) sur la sexualité en Ehpad, destinée aux professionnels, et émaillée de nombreux exemples, parfois déstabilisants, sur la vie sexuelle des résidents.

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