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En finir avec la tragédie de la maladie d'Alzheimer

Auteur Rédaction

Temps de lecture 6 min

Date de publication 01/09/2014

1 commentaires

Accepter de vivre au jour le jour

La mémoire n’est pas au centre de tout.

Tant que l’on considèrera que la mémoire est au centre de tout, de la conscience et de l’individu, la maladie d’Alzheimer restera un no man’s land. C’est pourquoi, il me parait important de répondre à un article de Comte Sponville paru sur le site Psychologies.com, intitulé « Face à face avec Alzheimer ».

Je cite : " L’esprit, c’est la mémoire ", disait Saint-Augustin avant Bergson, et je ne l’ai jamais mieux compris que dans ce service de gérontologie… Penser, c’est se souvenir de ses idées. Aimer, c’est se souvenir de ceux qu’on aime. Faire des projets, attendre, espérer, c’est se souvenir de l’avenir qu’on a ou qu’on croit avoir. Sentir même, c’est se souvenir de ce qu’on sent. La conscience est mémoire ou n’est pas. »

André Comte Sponville, tout en développant un point de vue philosophique sur la mémoire, reprend et renforce les idées reçues sur la maladie qui font des patients Alzheimer des êtres dépourvus de conscience et d’identité. Cette position ne peut s’expliquer que si on reste loin de la maladie et du malade. Si on fait face, si on s’en approche, on découvrira que c’est le contraire qui est vrai. Il y a une différence pour tout le monde entre ce que l'on ressent et ce que l'on est capable de nommer, pour un patient la différence est seulement plus grande, d’où les quiproquos et les incompréhensions.

Il n’y a pas d’être « sans mémoire »
C’est pourquoi les patients Alzheimer restent jusqu’au bout des « experts en émotions ». Comme les mots leur échappent, ce n’est pas fair-play de les prendre au mot : « Un jour, il me demanda des nouvelles de mon père : il avait oublié que j’étais son fils. Puis du sien, mort il y a quarante ans ».

Il y a un moment dans la maladie où le sens des mots se perd, va et vient. Il faut être capable de décoder ce qui se passe. Le patient demande des nouvelles, de qui ? Du père de celui qui vient le visiter… Il y a donc une relation père-fils à l’horizon de la question. Peut-être désire-t-il des nouvelles de son petit-fils, peut-être pas. Est-ce qu’il reconnait son fils dans la personne qui se trouve là et qui le regarde d’une manière si nouvelle, si étrange ?

Le présent seul compte pour le patient, ce qu’il perçoit ici et maintenant : l’état émotionnel de la personne qui se trouve là prime sur son identité sociale. Un rapport de cœur à cœur peut s’installer avec un parfait étranger et pas avec un membre de la famille, surtout si celui-ci arrive avec une attente du style : moi, il va me reconnaitre et me donner de l’affection. Ensuite l’état du patient (maladies, séjour à l’hôpital …) peut tout simplement empêcher provisoirement le contact (cf : Qui êtes-vous ? Je ne vous connais pas !).

Alzheimer, le B.A BA.

Le patient a perdu tous ses repères de temps et de lieu, c’est justement cela sa maladie. Pourquoi s’étonner alors qu’il demande des nouvelles de son père mort il y a quarante ans, puisqu’il n’a aucune idée de l’année en cours, de son âge, ou encore de l’endroit où il se trouve. Malgré cela, il désire vivre et être en relation. En réalité, le patient développe toutes sortes de stratégies dont on n’a pas la moindre idée pour compenser cette perte généralisée de repères, pour survivre et se débrouiller tant bien que mal dans un environnement kafkaïen.

Le patient a perdu tous ses repères mais il doit se souvenir de l’endroit où sont les toilettes et de la manière de s’en servir. Le déni est plus criant chez les bien-portants, dans le corps médical (cf. Maisondieu Le crépuscule de la raison) ou dans les familles (le patient a perdu ses repères mais il doit se souvenir de moi, car je suis son fils ou sa fille ou....)
Il n’y a pas un droit à être reconnu, mais il y a toujours la possibilité d’une relation si l’on sait s’ouvrir à l’autre, c’est-à-dire le regarder comme un égal et ne pas le noyer sous la pitié, l’angoisse ou pire encore le mépris et l’indifférence.


La puissance des neurones miroirs

Face à la maladie d’Alzheimer, on découvre forcément la puissance des neurones miroirs, qui gouvernent la relation à autrui, en bien comme en mal.

La bonne humeur du visiteur ou de l’accompagnant non seulement se reflète mais elle se multiplie chez le patient, la mauvaise humeur idem, la tristesse et tout ce qui s’en suit aussi.

J’ai vu l’autre jour un couple devant un supermarché. La femme en sortant de la voiture ne voulait pas lâcher la ceinture de sécurité, ce qui est classique, car tout objet qui est près du corps devient précieux et rassurant. C’est pourquoi le déshabillage est toujours délicat : le patient ne veut pas qu’on lui enlève ses habits dans lesquels il se sent bien. Comme tout a tendance à disparaitre autour de lui, il s’accroche à ses habits. Cette dame donc, une fois sortie de la voiture, ne voulait pas lâcher la ceinture de sécurité, comme si elle voulait l’emmener avec elle et elle n’y arrivait pas.

Son mari lui a demandé plusieurs fois de lâcher la ceinture et finalement a dû la lui ôter des mains. J’ai regardé leurs visages, l’un comme l’autre semblaient ravagés par la tristesse et le désespoir. Ils étaient chacun le miroir de l’autre, celui qui avait Alzheimer et celui qui ne l’avait pas : deux masques aussi tragiques l’un que l’autre.

Le rire est bon pour la santé, ils l’ont oublié depuis longtemps.

Jouer Alzheimer en comédie

La perte des repères n’empêche pas tout, si d’abord on l’accepte comme un fait et si on donne la primauté à la comédie sur la tragédie, à la bonne humeur sur les regrets.

Le patient peut apprécier quelqu'un ou quelque chose sans pouvoir le nommer. Il peut aimer sa maison sans savoir dans quelle pièce il se trouve. Il peut échanger des émotions ou des sentiments en dehors des mots et des discours convenus.
Le patient Alzheimer est voué au présent et à l'essentiel. On a beaucoup à apprendre de lui, nous qui sommes toujours en train de fuir dans un passé ou un futur que nous modelons et remodelons à notre gré.

Aimer ce n'est pas "se souvenir de ceux qu’on aime", c'est être dans le présent avec la personne telle qu'elle est actuellement. Le regret de ce qui aurait pu être, ou de ce qui se serait passé si ce n’était pas arrivé, est la porte de l’enfer.
Une fois cette porte passée, difficile de revenir en arrière, c’est pourquoi on trouve partout des gens et même des philosophes qui soutiennent qu’Alzheimer, c’est l’horreur.

La preuve, ils l’ont vécu eux-mêmes. On les croit mais on n’est pas obligé de faire pareil et c’est pour encourager les nouveaux arrivants dans le monde si particulier d’Alzheimer à jouer la comédie plutôt que la tragédie que nous avons écrit sur ce sujet grave une pièce de théâtre drôle "La Confusionite". Elle sera jouée à Paris en octobre et novembre puis en tournée.

Colette RoumanoffColette Roumanoff
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Benoit

Merci et merci c'est bien expliquer et nourrissant émotionnellement.
Ça me donne une façon de comprendre.
Des outils pour des relations humaine plus saines
Merci
Benoit P.
Sherbrooke. Québec, Canada

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